Le décès de Jean Boissonnat touche tout particulièrement l’Ajef dont il a été l’un des fondateurs
Publié le 28 septembre 2016Il le racontait dans un demi-sourire: dans les années Cinquante, à force de se retrouver « rue de Rivoli » -le « Bercy » de l’époque- les rares confrères qui s’intéressaient à l’information économique et financière, décidèrent de rendre pérenne leurs rendez-vous, leurs contacts, leurs interrogations. C’est ainsi qu’il y a 60 ans est née l’Association des Journalistes Economiques et Financiers, l’Ajef.
Jean Boissonnat, un marqueur du nouvel âge de l’information économique
Dans la jeune histoire de la presse économique en France, le nom de Jean Boissonnat est le marqueur de l’entrée dans un nouvel âge de l’information. La révolution internet d’aujourd’hui n’est que le deuxième temps d’une révolution commencée il y a près d’un demi-siècle dans les règles et les pratiques du journalisme économique dans notre pays. Or Jean Boissonnat, qui vient de disparaître à l’âge de 87 ans, en a été un acteur essentiel dès la fin des années 60. Jeune chef de service au sein du journal « La Croix », lui qui ne parle pas anglais et qui se flatte d’être un « fils d’ouvrier », est choisi par la famille Servan-Schreiber pour former l’équipe d’un nouveau magazine économique d’inspiration anglo-saxonne à l’intention de la génération montante des cadres. Ce sera « L’Expansion », une réussite commerciale et éditoriale totale et immédiate. Un courant d’air salutaire pour une population de journalistes économiques coincée entre l’éthique fragile de la presse financière traditionnelle et les partis-pris idéologiques des grands titres de la presse de gauche.
Ce n’est pas un hasard. Pour la presse économique, il y aura un avant et un après l’apparition de « L’Expansion » dans le paysage éditorial de même que pour le capitalisme français, il y aura un avant et un après l’OPA d’Antoine Riboud patron du futur Danone sur « l’institution » Saint-Gobain. Deux événements qui surviennent au même moment et qui font craquer les archaïsmes de la presse et du patronat de l’après-guerre.
La déclinaison des étapes de la carrière de Jean Boissonnat s’inscrit dès lors dans le prolongement de ce succès initial de « L’Expansion » : éditorialiste à « Europe 1 », créateur de « L’Entreprise », patron de « La Tribune », administrateur au conseil de « Ouest France », président de l’AJEF et des Semaines Sociales, membre de la Commission des Comptes de la Nation, président de la commission emploi du Commissariat général du Plan etc. Avec la consécration pour un journaliste économique d’être choisi entre les deux tours de l’élection présidentielle de mai 1981 comme arbitre aux côtés de Michèle Cotta pour le débat entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing . Après son départ du groupe Expansion en 1994 Jean Boissonnat est nommé au conseil de la politique monétaire de la Banque de France. Il se consacrera ensuite à l’écriture. Livres et éditoriaux concluent l’itinéraire d’un pédagogue exceptionnel, d’un détecteur de talents et d’un journaliste à l’écriture simple, liquide, précise.
Comme ses amis Jacques Delors et Michel Albert, Jean Boissonnat a cherché toute sa vie à arbitrer entre ses convictions de démocrate-chrétien marqué par le courant personnaliste d’Emmanuel Mounier et la froide évidence des lois de l’économie ouverte. Enfant de la classe ouvrière et adepte de la libre entreprise. Défenseur des lois sociales et familier du monde du business. La synthèse n’est pas toujours facile entre les inspirations de type CFDT et la vie au centre de tous les pouvoirs. Mais observateur planté au carrefour des forces de gauche et de droite, il est toujours resté fidèle à la règle du doute journalistique. La confiance qu’il inspirait à tous les publics – gouvernants et gouvernés, patrons et salariés – rejaillit aujourd’hui sur l’ensemble de la profession des journalistes économiques. Aux aînés d’expliquer aux journalistes de moins de trente ans pourquoi il restera un exemple.
Jacques Barraux
Le bureau de l’Ajef se joint à Jacques Barraux pour présenter, au nom de tous les adhérents de l’Association, ses très sincères condoléances à la famille de Jean Boissonnat