Les journalistes doivent être exclus de la directive européenne sur le secret des affaires
Publié le 10 décembre 2015Un appel de l’Ajef – Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) – l’Association de la presse présidentielle – l’Association de la presse ministérielle – Europresse
Les « Chiens de garde de la démocratie », c’est ainsi que nous qualifie la Cour européenne des droits de l’homme. C’est justement au nom du processus démocratique qu’il faut défendre à tout prix, et de son indispensable corollaire, la liberté d’enquêter et d’informer l’opinion publique, à l’abri de toute pression, politique, économique, judiciaire, que les associations de journalistes signataires de ce texte, exigent que les activités des journalistes, s’exerçant dans le cadre légal qui régit leur métier, soient exclues du champ d’application de la proposition de directive relative au secret des affaires, déjà adoptée en commission au Parlement européen, sans qu’aient été prises en compte les graves menaces que fait peser ce texte, dans son état actuel, sur la liberté d’informer et l’accès aux sources d’information.
Les signataires de ce texte ne remettent nullement en cause le bienfondé de son esprit initial, à savoir lutter contre l’espionnage industriel et économique, susceptible de fausser la concurrence et de mettre en péril des entreprises françaises et donc européennes. En revanche, le flou plus ou moins savamment entretenu sur la définition de ce secret des affaires et sur les risques encourus, y compris au plan pénal, par celles et ceux qui viendraient à l’enfreindre, est source de grands dangers. Les journalistes, premiers concernés, avaient déjà manifesté leur ferme opposition à une proposition de loi déposée fin 2011 par un parlementaire français. Perdant de son actualité pour cause d’élections en 2012, ce texte a ensuite emprunté un chemin de traverse, via le Sénat. Il s’en est fallu de peu qu’ils soit ultérieurement voté en début d’année à l’Assemblée nationale si la profession, fortement mobilisée, avec des milliers de signatures à l’appui de leurs protestations, n’avait pas permis d’éviter ce qui aurait été une grave entrave à la liberté d’enquêter et d’informer.
Mais le dossier n’est pas seulement à portée française puisqu’il se retrouve dans le cadre de la proposition de directive relative au secret d’affaires présentée par la Commission européenne en novembre 2013. Le processus communautaire s’est poursuivi avec l’adoption, en mai 2014, par le Conseil de l’Union européenne de la position collective de cette institution sur cette directive à l’occasion du Conseil « Compétitivité ». A chaque fois en dépit des mises en garde et de l’opposition manifestée par les journalistes français et européens qui voient dans certaines dispositions de ce texte une claire entrave à l’exercice de leur métier.
Les messages en ce sens adressés par les professionnels de l’information de toute l’Europe, et par l’Assemblée nationale française sous la forme d’une résolution européenne, au « trilogue » chargé d’accorder les positions de la Commission européenne, du Conseil européen et du Parlement européen, ont été pour l’instant sans effet réel. Les ambiguïtés demeurent, le danger aussi, celui de voir les entreprises placer la quasi-totalité de leurs activités, légales ou illicites, sous la protection d’un secret des affaires opposable à tous, sans réelles restrictions. A l’avenir, les journalistes – mais aussi les lanceurs d’alerte – se verraient dans l’impossibilité de révéler au grand public les grands scandales économiques et financiers qui ont marqué l’actualité de ces dernières années.
Aussi, pour mettre un terme définitif à cette impasse et aux lourdes conséquences qu’entraînerait une volonté de l’exécutif communautaire de passer outre, les associations signataires exigent-elles l’exclusion pure et simple des journalistes du champ d’application de la directive européenne relative au secret d’affaires, d’autant que, dans le cas plus spécifique de la France et en dépit des engagements réitérés par le président de la République à la mi-janvier 2015, le projet de loi visant à renforcer, d’ici à la fin de cette année, le secret des sources pour les professionnels de l’information, est, lui, est au point mort. Un très mauvais présage pour les « Chiens de garde de la démocratie » que sont, paraît-il, les journalistes.
Premiers signataires de ce communiqué
– Serge Marti, président de l’AJEF (Association des journalistes économiques et financiers)
– Manuel Jardinaud, président de l’AJIS (Association des journalistes de l’information sociale)
– Alain Barluet, président de l’Association de la presse présidentielle
– Nathalie Segaunes, vice-présidente de l’Association de la presse ministérielle
– Véronique Auger, présidente d’Europresse