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Regards sur la transition mondiale

Au cours des dernières décennies, l’information économique et financière en France a connu d’importants développements : l’extension de son champ d’examen, au- delà de la Bourse, vers les problèmes économiques et sociaux de la France et vers les problèmes internationaux ; une objectivité croissante par rapport aux considérations idéologiques et politiques ; une précision plus grande dans l’analyse des faits, assez souvent mêlée, dans le passé, au jugement porté sur ces faits. L’information économique et financière a ainsi atteint un niveau qui lui donne une place de premier plan dans l’information générale des Français. Au seuil du XXI° siècle, c’est un monde fascinant et foisonnant, qui s’offre à la réflexion et à l’analyse.

Je voudrais signaler quelques thèmes que je crois essentiels dans les années à venir.
Le monde est en transition vers un nouvel équilibre global. A la relation privilégiée entre les Etats-Unis, le Japon et l’Europe qui représentaient le monde développé et riche, d’une part, et le monde peu développé ou en faible développement d’autre part, se substitue une relation nouvelle entre les économies à haut niveau de développement et les économies émergentes, Chine, Inde, Brésil, qui font irruption sur la scène planétaire. Les Etats-Unis ne sont plus le moteur de l’économie globale : en dollars courants, la contribution de l’Asie à la croissance du PNB mondial (21%) a excédé celle de l’Amérique (19 %).

Contrairement à une idée reçue, la croissance de la Chine n’a pas été provoquée par les exportations, mais principalement par sa consommation, en hausse de 10% par an sur la dernière décennie, la croissance la plus rapide dans le monde. Autrement dit, si les Etats-Unis connaissaient une récession, la répercussion sur les économies de la Chine et du reste de l’Asie serait un ralentissement, sans plus.

Le dollar est également influencé par cette nouvelle relation entre les Etats-Unis, la Chine et le reste de l’Asie. Les déséquilibres américains (balance des paiements et budget) devraient entraîner une baisse très sensible du dollar. En fait, la Chine et d’autres pays asiatiques – Japon inclus –, qui disposent de réserves de change considérables, limitent cette baisse, car ils entendent favoriser leurs exportations en soutenant le dollar par des achats de bons du Trésor américains. Mais l’appréciation du yuan vis-à-vis du dollar au cours des derniers mois et le début de diversification des réserves asiatiques vers l’euro permet de prévoir un “atterrissage en douceur” du dollar.

Si, à l’avenir, l’activité économique et financière mondiale va être large- ment influencée par le “dialogue économique et stratégique” qui se noue entre les Etats-Unis et la Chine, elle dépendra également des conséquences des prix élevés du pétrole pour les pays producteurs, et de l’accroissement des actifs qui en résulte pour eux. Alors que le surplus de la balance des paiements courante chinoise a atteint, en 2006, 200 milliards de dollars, les pays exportateurs de pétrole auront disposé, eux, de 500 milliards de dollars, dont la moitié au Moyen-Orient. Ces surplus auront un impact considérable sur les flux internationaux de capitaux et peuvent empêcher la correction des déséquilibres globaux d’une manière ordonnée. D’autant que la plupart des analystes s’attendent à ce que le prix moyen du pétrole se maintienne en moyenne au cours des prochaines années à 60 dollars le baril.

Cette “explosion des pétrodollars” alimente les liquidités qui se déversent sur les marchés de capitaux. Les achats de bons du Trésor américain se font, non directement auprès des vendeurs de titres aux Etats-Unis, mais à travers les intermédiaires à Londres. Les surplus pétroliers sont en outre employés à des achats d’actions, de propriétés privées ou à travers les “hedge funds”. Les pays pétroliers du Moyen-Orient restent, certes, attachés à la stabilité de leurs monnaies par rapport au dollar. Mais si ce dernier continue à baisser, ils pourraient, plus facilement que la Chine, diversifier leurs réserves. De ce point de vue, les pays exportateurs de pétrole peuvent être plus dangereux que la Chine. Pour rétablir un équilibre économique et financier global, il serait bon que les Etats-Unis épargnent plus et que les pays à surplus dépensent davantage.

Et l’Europe ? Après avoir été considérée comme un maillon faible de l’économie mondiale, l’Europe Occidentale connaît une nette reprise provenant, non du commerce extérieur, mais de la demande intérieure. Il faut en outre noter que les économies européennes exportent maintenant plus vers la Chine que vers les Etats-Unis. Inversement, depuis 2005, la Chine a dépassé les Etats-Unis comme fournisseur de la zone euro. L’Allemagne fédérale retrouve un rôle moteur au sein de cette zone. Si le dollar s’affaiblit par rapport à l’euro, ce n’est pas la conséquence d’une politique monétaire inadaptée de la Banque centrale européenne, c’est parce que l’économie européenne a moins de problèmes que l’économie américaine. La politique des taux de la BCE ne saurait gêner en aucune façon les exportations européennes (voir l’Allemagne).

Plutôt que de s’en prendre à l’euro, les autorités françaises et certains milieux économiques feraient mieux d’essayer de remédier aux faiblesses structurelles de notre économie. Nous ne sommes heureuse- ment plus au temps où la dévaluation de la monnaie servait de ballon d’oxygène. La France, comme le reste du Vieux continent, est entravée par les marchés rigides des produits et du travail. Si des réformes économiques y sont introduites, l’euro apparaîtra rapidement comme un meilleur pari que le dollar.

Je souhaite que les journalistes économiques et financiers exercent un rôle national en exposant aux Français les faiblesses de leur économie, liées pour une large part à leurs comportement dépassés. Au moment où s’ouvre une période électorale essentielle, il faut dénoncer les analyses complaisantes, les cocoricos peu crédibles, les promesses impossibles à tenir. Il faut rappeler sans cesse que l’économie doit s’adapter à la mondialisation, qui est un fait incontournable, et accepter sans retard des réformes fondamentales.
Adaptation et compétitivité, tels sont les maîtres mots d’une bonne politique pour la France. Le reste sera donné par surcroît !

1999-2006 Presse et quasi-presse

A la “une” des journaux, dans ces premières années du siècle, des aboutissements et des remises en cause.

Aboutissements: la naissance de l’euro, et l’intégration de dix nouveaux membres à l’Union européenne en 2004. Remises en cause: l’ébranlement d’un certain ordre international avec les attentats du 11 septembre 2001 et l’enlisement américain dans la guerre d’Irak ; l’interruption des avancées européennes avec l’échec des référendums sur le Traité constitu- tionnel en 2005, en France et aux Pays-Bas; l’émergence de la contesta- tion altermondialiste ; le défi lancé aux grands pays industrialisés par la montée en puissance de la Chine et de l’Inde ; la dénonciation des dérives du capitalisme financier avec les scandales de type Enron (2002) et la lumière jetée sur les rémunérations des grands patrons, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe.

Remise en cause, aussi, de la presse économique. Elle avait observé avec admiration l’ascension des start-ups vedettes des nouvelles technologies, puis s’était interrogée avec inquiétude sur leurs fabuleuses valorisations boursières, jusqu’à l’éclatement de la “bulle” Internet en 2002. Mais elle n’est pas une simple observatrice du phénomène. Elle est aussi directement concernée dans son fonctionnement, sinon dans son existence même, par l’évolution des techniques d’information et de communication. Internet est-il un concurrent potentiellement meurtrier ou un nouvel espace de développement ?

La presse économique proprement dite a accru de moitié sa diffusion dans les vingt dernières années. De plus, dans la période récente, l’espace consacré à l’information économique s’est nettement élargi (voir la chrono- logie p.6): dans les pages spécialisées des quotidiens et magazines d’information générale, dans les journaux des chaînes de télévision et de radio, dans de nouvelles chaînes consacrées exclu- sivement ou principalement à l’éco- nomie, dans la presse gratuite, sur Internet… Elle a aussi trouvé de nouveaux canaux – l’écran de l’ordina- teur ou du téléphone portable.

Cette efflorescence est bénéfique, mais présente aussi des risques : la notion même de presse devient floue, une “quasi-presse” se développe, qui va des magazines diffusés par les entreprises à certains sites ou blogs sur Internet. Du coup, la frontière entre l’information fiable et la publicité déguisée, voire la manipulation, se brouille. Pour les journalistes économiques, cette évolution représente un danger. Mais elle apporte en même temps la preuve que leur rôle est irremplaçable.

1989-1998 Regards sans frontières

La chute du Mur de Berlin en 1989 engage l’Europe dans une voie qu’elle n’avait pas prévue: après l’écroulement des régimes communistes à l’Est, le débat entre élargisse- ment et approfondissement est tranché par la nécessité politique d’intégrer à l’Europe démocratique ces nations avides de liberté.

Mais, en même temps, la marche vers la monnaie unique se poursuit avec le Traité de Maastricht, ratifié en France par le référendum de 1992, et le Marché unique entre officiellement en vigueur en 1993.

La convergence de ces deux séries d’événements dessine le nouveau visage de l’Union européenne : un grand marché, de plus en plus exigeant en matière d’ouverture à la concurrence, avec en son sein une zone monétaire intégrée, mais une absence criante de gouvernance politique, notamment dans le domaine économique. Les deux processus occupent la décennie : les négociations avec les pays candidats sont lancées en 1997 et aboutiront à l’intégration de dix nouveaux membres en 2004. Quant à la préparation de la monnaie unique, elle se traduit, en France, par quelques années de rigueur sous le signe de la “désinflation compétitive”, afin d’éviter un décrochage de la parité franc-deutschemark.

Cependant, l’inconstance du comportement électoral des Français produit des politiques économiques discontinues. La cohabitation de 1993- 1995 amène une nouvelle vague de privatisations et de déréglementation, ainsi qu’un début de réforme des retraites, mais après l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée la volonté réformatrice se brise sur les grèves de l’automne 1995. Et la gauche, revenue au pouvoir en 1997, remet le cap sur le social (35 heures, CMU, emplois jeunes…).

Mais la presse observe aussi la montée multiforme de la mondialisa- tion : explosion et sophistication des marchés financiers, percée des pays émergents, prise de conscience de la menace climatique (sommets de Rio en 1992, de Kyoto en 1997), grandes négociations commerciales… Elle suit les avancées de la “financiarisation” et ses dérives : scandale du Crédit lyonnais en 1993, déconfiture de la banque Barings en 1995, crises financières asiatique et russe en 1997-98.

Elle se heurte à l’opacité croissante des entreprises: vigilantes sur leur image, discrètes sur leurs données “stratégiques”, celles-ci opposent à la recherche d’information des journa- listes leur propre politique de commu- nication. D’autre part, l’information économique est un domaine de plus en plus sensible, ce qui attise le conflit latent entre les prérogatives d’enquête des autorités boursières et la protection des sources.

1981-1988 La révolution financière

La gauche arrive au pouvoir en France au moment où l’économie mondiale entre dans une phase de libéralisation. Sans attendre, elle applique son programme : relance budgétaire, hausse du Smic, nationali- sations, 39 heures, retraite à 60 ans…

Mais l’ “illusion lyrique” dure peu. Dès la mi-1982, le franc se retrouve dévalué de 10 % par rapport au deutschemark, les prix flambent et la balance extérieure plonge. En mars 1983, il faut choisir : sortir du Système monétaire européen, comme le préco- nisent certains conseillers influents de Mitterrand – on les appellera les “visiteurs du soir” –, ou y rester, au prix d’une sévère cure d’austérité, comme le recommandent Pierre Mauroy à Matignon et Jacques Delors à Rivoli.

Finalement le président tranche pour l’Europe. Le plan de rigueur de Delors est l’un des plus draconiens que la France ait connu. L’assainissement porte ses fruits, mais la croissance ne repartira que dans le dernier tiers de la décennie, ce qui permettra à Michel Rocard de créer le RMI pour couvrir un risque que l’Etat providence n’avait pas prévu : la pauvreté.

Le virage économique ne s’arrête pas là. Dès 1984, Pierre Bérégovoy libéralise le système bancaire et le marché monétaire, et Edouard Balladur, ministre de l’Economie lors de la cohabitation de 1986-1988, accélère le mouvement en lançant les privati- sations.
La révolution financière est en marche, poussée par trois moteurs: la libération des mouvements de capitaux, la “désintermédiation” des financements (l’appel aux marchés se substitue au crédit bancaire), et l’in- formatisation des transactions.

La bourse de Londres est la première à accomplir son “Big bang” en généralisant la concurrence entre les opérateurs. Et en 1988, la presse salue la première OPA géante, celle du fonds d’investissement américain KKR sur le groupe agro-alimentaire RJR-Nabisco.

Cette vague de libéralisation a un prix, l’instabilité : crise financière mexicaine en 1982, krach boursier en octobre 1986, envolée et chute du dollar entre 1985 et 1987. Dans ce monde agité, l’Europe se consolide avec l’entrée en vigueur en 1986 de l’Acte unique qui achèvera, en quelques années, la construction du “grand marché”. A l’Est, la “perestroïka” de Mikhaïl Gorbatchev est comme l’aveu d’échec d’un régime proche de sa fin.

Dans la presse, l’économie s’impose de plus en plus comme un sujet majeur. De nombreux titres se créent. Le développement de l’actionnariat stimule l’information sur la bourse et les placements, et la clientèle des cadres reste un gisement de croissance de la diffusion.

1973-1980 Entre deux chocs

Le choc pétrolier de 1973 rappelle à la France qu’elle ne s’est pas seulement ouverte sur l’Europe, mais qu’elle est désormais sensible, et vulnérable, aux grands événements planétaires. L’autre point de départ de ce qu’on appellera pendant des années “la crise” est l’abandon, au début de cette même année, des parités fixes entre les monnaies.

La France connaît en 1973 sa première récession depuis la guerre. Entre le ralentissement de la croissance et la persistance de l’inflation – on invente le mot “stagflation” –, le pouvoir hésite: plan de refroidissement de 1973-1974, relance Chirac en 1975, qui provoque un plongeon de la balance commerciale et une nouvelle dépréciation du franc, plan de rigueur de Raymond Barre en 1976. Le nombre des chômeurs dépasse en 1975 la barre du million. En 1979, Jean Fourastié publie un livre dont le titre fera fortune et qui montre aux Français que les belles années sont derrière eux : Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible.

Pour atténuer la vulnérabilité énergétique de la France, Valéry Giscard d’Estaing confirme et poursuit le programme nucléaire lancé à la fin du mandat de Georges Pompidou. On panse les plaies des secteurs industriels malades : création du Ciasi en 1974, plan sidérurgie en 1978. Mais la période giscardienne marque aussi des avancées pour l’Europe : institution en 1974 du Conseil européen, élection du Parlement européen au suffrage universel direct à partir de 1979, entrée en vigueur la même année du Système monétaire européen.

Dans la presse, se multiplient les débats et les grands dossiers économiques. Les journaux renforcent leurs équipes de correspondants à l’étranger, et suivent les grands basculements mondiaux : l’ouverture de la Chine par Deng Xiaoping, le nouveau souffle libéral en Occident avec l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 et de Ronald Reagan en 1980, la révolution iranienne qui provoquera le deuxième choc pétrolier, les premiers ébranlements du communisme à l’Est avec la résistance de Solidarnosc en Pologne.

La presse économique se spécialise davantage en fonction des cibles visées. Elle s’intéresse particulièrement aux cadres, catégorie en peine expansion, développant à leur intention les rubriques de services et de conseil (consommation, loisirs, placements…). Mais l’opacité croissante de la sphère des décideurs économiques reste un sujet de préoccupation. En 1980, le Livre blanc de l’Ajef détaille les problèmes rencontrés par le journaliste face à son journal, à l’appareil d’Etat, aux entreprises et à ses propres engagements.

1968-1972 De nouveaux rêves

La France s’ennuyait, elle s’est ébrouée. Mais au-delà du défou- lement collectif de Mai 68, elle se découvre subitement changée. Sous les pavés, la plage. Sous la grandeur natio- nale, l’épanouissement individuel. Sous la génération des grands commis issus de la Résistance, l’explosion des baby-boomers – qu’Alfred Sauvy avait annoncée dès 1959 dans son livre La montée des jeunes.

Ces années d’avant-crise présentent un double visage. De différents côtés, on perçoit les échos des slogans éman- cipateurs de mai: projet politique (éphémère) de “Nouvelle société” du gouvernement Chaban-Delmas, réforme universitaire d’Edgar Faure, montée du féminisme (en 1972, Anne Chopinet entre major à Polytechnique), révolutions de la mode, libération des mœurs, naissance d’une sensibilité écologique qui se traduit aussi bien par la création d’un ministère de l’environnement que par le succès du rapport du Club de Rome, Halte à la croissance (1972).

La croissance, pourtant, se poursuit, à un rythme proche de la surchauffe. Après la dévaluation de 1969, conséquence différée des accords de Grenelle, on revient aux choses sérieuses. L’ère pompidolienne est l’âge d’or de la politique industrielle. Les technocrates issus des grands corps essaiment dans les entreprises, où commencent les grandes manœuvres : élargissement du groupe Dassault, relance du programme Airbus en 1969, constitution de la SNIAS (l’“Aérospatiale”) en 1970, fusion entre Pechiney et Ugine-Kuhlmann l’année suivante… L’automobile est en plein boom. Renault, sous la houlette de Pierre Dreyfus, lance en 1972 la R5, “une voiture pour la femme”. Et le patronat prend un coup de jeune avec l’OPA d’Antoine Riboud sur Saint-Gobain fin 1968.
Dans la presse économique, la success story devient un genre prisé des maga- zines. L’Amérique fascine.

Le management, l’introduction de l’informatique dans les entreprises sont les thèmes en vogue. L’hebdomadaire Les Informations crée pour ses lecteurs un jeu, A vous de diriger, sur le modèle de la méthode des cas. Le progrès technologique passionne. L’homme marche sur la Lune en 1969, et on découvre avec curiosité les futurologues d’Outre Atlantique comme Herman Kahn ou Alvin Toffler (Le choc du futur, 1971).

Mais d’autres préoccupations montent, liées à l’exercice du métier. Dans la préface à l’annuaire 1971 de l’Ajef, Gilbert Mathieu écrit à l’intention des “détenteurs de divers pouvoirs”: “Les journalistes doivent leur rappeler que l’information, en économie comme dans les autres domaines, est un droit du citoyen, non un privilège qu’on pourrait contester”.

1958-1967 Le temps des ambitions

Naissance du Marché commun et plan d’assainissement Pinay-Rueff, symbolisé par l’introduction du nouveau franc le 1er janvier 1960: deux événements phares qui marquent le début de la période gaulliste. Les accords d’Evian de 1962 qui mettent fin à la guerre d’Algérie et le traité d’amitié franco-allemand de 1963 vont indiquer clairement le changement d’orientation de la politique française.

Sur le plan international, la France affirme ses positions, parfois sans ménagemen : vis-à-vis de ses partenaires européens en opposant son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, puis en provoquant la crise de la “chaise vide” en 1965 ; vis- à-vis des Américains en contestant l’hégémonie du dollar.

A l’intérieur, c’est l’ère des grands projets et des “grands commis de l’Etat”: Paul Delouvrier, aménageur de la région parisienne et père des villes nouvelles, François Bloch-Lainé qui, à la Caisse des Dépôts, lance une grande politique de logement social, Pierre Guillaumat, l’homme de l’atome puis du pétrole, Pierre Massé, qui s’attache à faire du Plan un “réduc- teur d’incertitudes”… On lance, dès 1961, le projet franco-britannique de supersonique Concorde, on entreprend les travaux de la première ligne de RER, on crée la Datar en 1963… On pense aussi aux conditions de vie des Français : la “répartition des fruits de la crois- sance” est le thème en vogue (ordonnances sur l’intéressement en 1967), et le nombre de logements mis en chantier bondit de 300 000 à 500 000 au cours des années 60.

La presse économique observe avec une certaine fascination l’action de cette technocratie triomphante et la montée en puissance des grandes directions de Rivoli – le Budget et le Trésor. Mais elle salue aussi les signes annonciateurs du changement, notamment dans les
modes de consommation : apparition du consumérisme, ouverture du premier hypermarché en 1963. Préoccupé de l’importance croissante de la télévision, le gouvernement la place sous son contrôle en 1964 avec la création de l’ORTF. Cependant, la presse écrite évolue. L’exemple des magazines économiques américains inspire la création par L’Express et McGraw Hill, en 1967, du mensuel L’Expansion. Dans les journaux, les rubriques se spécialisent et le niveau des recrutements s’élève.

On recherche toujours davantage le dialogue direct avec les responsables. A partir de 1958, l’Ajef commence à organiser des déjeuners-débats confrontant les hommes politiques, hauts fonctionnaires ou chefs d’entre- prise avec les journalistes.

1956-1957 Les rendez-vous de Rivoli

Cette Quatrième République finissante laissera le souvenir d’une période morose et agitée : guerre d’Algérie, crise de Suez, grèves, instabilité ministérielle… Et pourtant, même si l’inflation reste un problème lancinant – elle est repartie à la suite des mesures sociales mises en œuvre par le gouvernement de Guy Mollet –, l’économie ne se porte pas si mal, avec une croissance qui avoisine les 5 % par an et un taux de chômage inférieur à 2 %.

Dans la presse, les grands sujets économiques du moment n’ont rien d’abstrait ni de théorique : la vie chère, les difficultés de logement, les revendi- cations sociales. Il n’y a que sept ans que les tickets de rationnement ont disparu. Pour aider les vieux, on invente en 1956 la vignette automobile – un impôt “provisoire” qui sera supprimé… en 2001.

Mais en même temps, la France est en plein redressement. Les deux premiers Plans (le deuxième s’achève en 1957) ont fixé comme priorité la croissance de la production – le logement ne viendra que plus tard. Les besoins d’infrastructures et d’équipement des ménages nourrissent une activité intense. Les Français travaillent près de 2100 heures par an (600 de plus qu’aujourd’hui).

La croissance se poursuit à l’abri des barrières douanières, dans une Europe protectionniste dont la signature du Traité de Rome annonce la fin. Un monde où l’équilibre de la terreur impose une stabilité que troublent, à l’Est, en 1956, le rapport Khrouchtchev et l’intervention russe à Budapest. L’année suivante, l’URSS lance le premier Spoutnik.

Dans une économie aussi dirigée (contrôle des prix et des changes), la principale source d’information se trouve au ministère des Finances. Chaque jour, une poignée de journalistes accrédités arpente les couloirs du Louvre (“Rivoli” restera le siège du ministère jusqu’en 1988) et se retrouve à midi pour un bref point de presse donné par le ministre ou son directeur de cabinet. On glane aussi des confi- dences en accrochant un conseiller entre deux portes, ou parfois en “passant la tête” dans un bureau pour un bavardage informel.

En juin 1956 – Paul Ramadier était alors le ministre des Finances du gouvernement Mollet, le vingtième depuis 1947 –, ce petit groupe crée l’Ajef. Autour d’Armand Macé (Le Parisien), qui en sera le premier président, et de Jacques Le Désert, René Mazedier, Rémy Dussart, il y a Jean Boissonnat (La Croix), Gilbert Mathieu (Le Monde), qui occuperont après Macé la présidence de l’association, et quelques autres. Les statuts seront modifiés en 1978, puis en 1986 pour s’adapter à l’augmentation du nombre des journalistes adhérents.

La passion et la raison

Le phénomène internet nous le fait souvent oublier. En 50 ans, la presse a connu plus d’une révolution. Révolution technologique bien sûr, marquée par le passage du plomb à l’informatique et à l’envol des nouveaux supports d’information, ordinateurs, vidéos, mobiles et “baladeurs” de toute sorte. Révolution sur le fond également.

C’est particulièrement vrai de l’information économique et financière. Quelques habitués de la “rue de Rivoli”, où régnait le ministère de l’Economie et des Finances, ont décidé au printemps 1956, de créer l’Association des Journalistes Economiques et Financiers, l’Ajef.

Ils comptaient peu de spécialistes de la chose économique et encore moins financière. Depuis lors, l’abandon du système international de parités fixes, la levée du contrôle des prix et des changes en France et la montée de la globalisation de l’économie, sur fond d’influence grandissante de la sphère financière, ont bouleversé la donne.

L’économie a fait une percée dans tous les supports d’information. De nouveaux rapports de force ont émergé entre les politiques, le monde des affaires, les médias, les citoyens. Nul ne peut s’y tromper : c’est l’évolution de la démocratie qui est en jeu.

Trier, vérifier, hiérarchiser, cette trilogie implacable pour tout journaliste soucieux d’effectuer son travail de la façon la plus impartiale possible est plus que jamais indispensable: l’information déversée en temps réel et venue de toute part tue, parfois, l’information.

Autant dire qu’en ce Cinquantenaire, l’Ajef entend plus que jamais s’imposer un double objectif : participer à un effort de pédagogie pour apporter aux journalistes une meilleure compréhension de dossiers de plus en plus complexes ; les aider à éviter les dérives déontologiques, en dépit des pressions multiples dont ils sont l’objet.

Un mélange de passion dans la quête des faits et de raison dans leur présentation et leur décryptage qui reste le seul garant de qualité, de crédibilité. Et de survie pour toute une profession.

Nous les avons reçus en 2006

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Jean-François COPE – Porte parole du gouvernement et Ministre du budget, invité le 14/12/06

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Michel PEBEREAU – PDG BNP Paribas, invité le 23/11/06

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Angel GURRIA – Secrétaire Général OCDE, invité le 24/10/2006

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François DAVID – PDG Coface, invité le 18/10/06

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Pierre GADONNEIX – Pdt EDF, invité le 27/06/06

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Thierry BRETON – Ministre de l’économie & des finances, invité le 22/05/06

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Beaudouin PROT – DG de BNP Paribas, invité le 24/04/06

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Guy DOLLE – PDG Arcelor, invité le 12/04/06

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Jean-Claude TRICHET – Pdt Banque Centrale Européenne, invité le 06/03/06