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Le professionnalisme fera la différence

La presse économique et financière a connu un développement considérable au cours des trente dernières années. Elle a contribué à hisser les sujets économiques au cœur des préoccupations de Français. L’Ajef a joué un rôle important en favorisant, depuis 50 ans, des échanges d’idées et des débats de fond, s’appuyant toujours sur la volonté de comprendre et de faire comprendre les réalités de la vie économique et financière. Cette révolution du savoir est essentielle dans un monde où la compétition entre les nations est désormais devenue, avant tout, une compétition économique.

Si la France reste, malgré ses difficultés, une nation relativement prospère et solidaire en ce début de XXI° siècle, elle le doit pour l’essentiel à ses performances économiques, et donc à la capacité de ses habitants à y contribuer. Mais si beaucoup a été fait pour aider les Français à avoir des débats raisonnés sur l’économie, beaucoup reste encore à faire. N’a-t-on pas vu un ouvrage récent oser prôner la fuite devant “l’horreur économique”, alors qu’on imaginerait difficilement un livre intitulé “l’horreur géologique” ou “l’horreur médicale” ?

Cette information économique et financière toujours plus efficace dont notre pays a besoindevra, à mon avis, relever deux défis majeurs dans les prochaines années : le défi de la microéconomie et le défi des nouvelles technologies.

Le défi de la microéconomie, tout d’abord : dans le monde entier, ce sont les acteurs de l’économie qui moderni- sent l’économie, plutôt que l’Etat. L’entreprise crée la richesse, innove, offre des perspectives aux individus, crée du lien social et reconfigure l’espace. Elle le fait souvent en parte- nariat avec d’autres acteurs de terrain, y compris des acteurs appartenant à l’univers “non marchand”.

La remise à Mohammed Yunus du prix Nobel de la paix illustre parfaitement la capacité de micro-solutions impliquant toutes les bonnes volontés et toutes les compétences locales pour répondre aux besoins concrets de la population mieux que ne le font les “macro- décisions”. L’information économique et financière devra, à l’avenir, apprendre à mieux rendre compte de ce fourmil- lement d’initiatives positives, plutôt que de se contenter de s’intéresser à la microéconomie lorsqu’une crise survient dans une entreprise déjà établie.

L’autre grand défi de l’information économique et financière est celui de la technologie, ou plutôt celui de ses conséquences. L’avenir de la presse économique est naturellement dans le multimédia, c’est à dire dans des supports réunissant des média d’analyse (le papier), des médias d’alerte et d’interactivité (Internet) et des médias d’image (la vidéo, qu’elle passe par le canal télévisuel ou le canal Internet). Le multimédia permet à l’information de circuler partout en temps réel, mais en même temps qu’il accroît la fluidité de l’information, il augmente le risque de désinformation.

Une rumeur non vérifiée peut désormais se propager à une vitesse record. Cette situation est connue des lecteurs, notamment ceux de la presse économique et financière, qui ont donc tendance à prendre leurs habitudes auprès des médias qui parviennent à concilier l’impératif de rapidité avec l’impératif de fiabilité. C’est peut-être un peu optimiste, mais il me semble juste de dire que la mutation technologique n’empêchera pas, dans le domaine économique et financier, les journalistes les plus professionnels et les mieux informés de faire, demain comme hier, la différence.

Un capital de confiance à sauvegarder

Comme celui du banquier, le travail du journaliste économique et financier repose sur un mécanisme simple: celui de la confiance. Le développement de la presse économique au cours des dix prochaines années suppose donc de maintenir et de renforcer la crédibilité des sources d’information existantes.

Alors que l’évolution actuelle des techniques de communication entraîne une inflation constante de l’information disponible, la confiance que le public accorde aux médias économiques traditionnels ne peut en effet que s’affaiblir, de même que la multiplication des canaux de distribution en matière de services financiers peut faire perdre de sa force à la relation traditionnelle entre le banquier et son client. Si elle constitue un défi straté- gique majeur pour la presse écono- mique, une évolution de ce type offre en même temps de remarquables opportunités de renouvellement.

Le premier élément à prendre en compte est évidemment l’expansion prodigieuse de l’information en ligne. La multiplication des données disponibles gratuitement et la possibilité pour les acteurs économiques de communiquer directement sur Internet doivent conduire la presse à repenser son rôle. Grâce à la diversification actuelle des grands médias, y compris télévisuels, cet aggiornamento paraît bien engagé dans notre pays.

Ainsi, pour les dirigeants d’entreprises, les investisseurs et le grand public, la valeur ajoutée du journalisme économique consisterait d’abord à opérer un tri dans la masse des informations diffusées par des intervenants de natures très diverses (gouvernements, entreprises, chercheurs, citoyens) et dont les objectifs sont souvent peu lisibles.

Pour répondre à une demande fortement différenciée de la part des consommateurs d’information, le succès de la presse économique à l’horizon 2015 dépendra également de sa capacité à offrir des réponses de plus en plus adaptées aux besoins individuels. Comme dans tous les secteurs d’activité, les médias économiques doivent en effet tendre vers un produit répon- dant aux attentes propres de leurs clients. Cet objectif d’une “information individualisée” suppose non seulement que les médias élargissent leur offre de contenu sur Internet, mais aussi qu’ils développent des canaux de diffusion plus souples et interactifs, tels que les blogs et les forums. Cette évolution implique probablement un rééquilibrage en faveur de commentateurs et de journalistes mieux identifiés, au détriment des grands titres de la presse économique.

Conséquence nécessaire de cette double évolution, l’avenir du journa- lisme économique et financier repose plus que jamais sur l’innovation technique. Les entreprises du secteur bancaire ont donné l’exemple d’une telle modernisation au cours des dernières années, en renouvelant la relation avec leur clientèle grâce aux nouveaux moyens de communication. Toujours ouverte sur le monde de l’entreprise, la presse économique a aujourd’hui les moyens d’adopter de semblables stratégies innovantes. C’est là un enjeu majeur pour la qualité de l’information et le bon fonctionnement de l’économie. En effet, l’information façonne la vision des décideurs, des investisseurs et du public ; elle oriente leurs choix et fait évoluer leurs préférences.

Toutes nos entreprises sont donc concernées par son avenir.

Indispensable pédagogie

En 1885, Ernest Renan, accueillant Ferdinand de Lesseps à l’Académie française, décrivait un monde où l’espace et le temps se rétrécissaient, où la mondialisation mettait les bourses en réseau. Nous pourrions en reprendre les mots aujourd’hui.

La communication financière vit une mutation très forte. L’accès d’un plus grand nombre d’acteurs aux marchés financiers et le développement des réseaux et des moyens d’informa- tion vont entraîner une accélération de la fréquence de cette information, des modalités nouvelles de publication. C’est un fait. Face à une information de plus en plus complexe et détaillée, il faudra aussi une simplification et une pédagogie accrues. C’est un enjeu essentiel, et le rôle des journalistes économiques et financiers sera primordial.
Mais les investisseurs ont-ils la capacité d’analyser ce flux récurrent d’informations ?

Deux visions s’opposent. La première plaide pour une augmentation de la fréquence des publications: trimestrielle, peut-être bientôt mensuelle ou même disponibilité en temps réel et en ligne. La seconde met l’accent sur la qualité et la profondeur des informations publiées, ainsi que sur la mise en perspective industrielle de ces données. Je m’inscris très clairement dans cette deuxième vision.

Les particuliers se tourneront de manière croissante vers les marchés financiers. Ces nouveaux consommateurs d’information économique auront besoin d’une information compréhensible et toujours plus transparente.

Cela suppose une simplification et une plus grande pédagogie. Par ailleurs, il faut que le débat sur l’information financière sorte des cercles spécialisés.

Je salue à ce titre l’initiative de l’AMF (Autorité des marchés financiers) de créer une école, l’“Institut pour l’éducation financière du public”, visant à rendre accessible à tous les notions financières élémentaires. Un travail important d’éducation doit en effet être entrepris en France, mais également au niveau européen – nos collègues anglais font le même constat que nous – pour enseigner les notions rudimentaires de la finance aux citoyens qui constituent les investisseurs de demain.

Enjeu fort également: la prise en compte du développement durable. J’ai la conviction que l’information financière de l’entreprise se doit d’intégrer des données comptables, financières ou économiques, mais également stratégiques, sociales et environnementales. La notion de développement durable en est un élément clé. Les entreprises devront démontrer leur engagement en publiant des indicateurs, sans doute normés et audités. La transparence en matière de gouvernance d’entreprise, de fonctionnement des organes sociaux et d’éthique, devrait progresser.

Rappelons une évidence : la communication financière vise non seulement à aider l’investisseur à évaluer la performance d’une entreprise, à mettre en adéquation la perception de l’entreprise par le marché avec la sienne propre, mais aussi et d’abord à
évaluer le futur. Dans nos métiers de l’énergie et de l’environnement, 2015, c’est déjà demain. Les décisions d’investissement d’aujourd’hui dans les grandes infrastructures environne- mentales énergétiques détermineront les contours et la performance de l’entreprise sur le long terme.

Il nous faut aujourd’hui trouver l’équilibre entre le temps des marchés, celui des résultats financiers à court terme, et le temps industriel, celui des hommes, des organisations, des inves- tissements pour le futur.

Un nouveau dialogue avec les actionnaires

Plus qu’une simple évolution technologique, l’arrivée du nu- mérique et de ses usages a vérita- blement bouleversé le monde. Véritable révolution des temps modernes, elle a redessiné les rapports humains, en ouvrant une nouvelle ère de communication entre les personnes. Partout et tout le temps.

L’entreprise n’a pas échappé à ce mouvement, bien au contraire! Et la cotation en Bourse accroît le nombre des scrutateurs de sa stratégie, toujours plus attentifs à l’évolution de son activité et de ses résultats.

Au-delà de la demande croissante d’information, elle fait face à une exigence toujours plus forte de trans- parence, qui se traduit notamment par une accélération du rythme de la publication des informations financières.

La notion de temps réel, autrefois réservée au process industriel, s’applique aujourd’hui à toute communication dans ce domaine.

Dès lors, les enjeux mêmes de l’information sont en train de changer. Face à l’abondance et à la densité d’informations qui se chevauchent et s’éclipsent parfois, la question du choix devient cruciale pour son utilisateur. Un défi qu’il faudra relever en privilégiant la proximité et la simplicité.

Parce que demain chacun devra pouvoir disposer d’une information “à la carte” et composer son propre bouquet. Parce qu’à l’avenir encore plus qu’au- jourd’hui, la priorité sera d’accompa- gner les besoins des particuliers et des entreprises, là où ils sont. Enfin, parce qu’il faudra mettre systématiquement l’innovation technologique au service de solutions nouvelles et adaptées aux enjeux émergeants.

Pour toutes ces raisons, le défi de l’avenir sera d’adapter en permanence l’offre de services, en intégrant les potentialités des nouvelles technologies et en proposant des solutions permet- tant à chacun, où qu’il soit dans le monde, d’accéder à l’information sur l’écran de son choix (mobile, ordinateur, télévision…), consultable à tout moment, interactive et personnalisable.

Les relations avec les actionnaires n’échapperont pas à cette mutation numérique. Ce ne sont pas seulement les outils qui vont se transformer. Nous ne sommes pas seulement passés de l’“avis financier” à l’“avis numérique”. Il s’agit de construire un nouveau type de relations entre les actionnaires et l’entreprise : un dialogue permanent, instantané et ouvert.

Il appartiendra à chaque groupe d’innover, voire d’être précurseur, pour mettre à leur disposition des services innovants, qui incarneront ce dialogue d’un nouveau type, un défi de taille.

Ouvrir les fenêtres sur le monde

La presse économique et financière joue un rôle majeur, qui ira croissant dans les années à venir. Elle doit être le témoin, le miroir, et l’interprète des bouleversements auxquels la mondialisation confronte nos sociétés. Mon poste d’observation actuel m’offre une vision à 360° des heurs et malheurs, des opportunités et des risques engendrés par l’interdépendance croissante des économies. Réservoir inépuisable de sujets, d’angles, d’analyses et de mises en perspective, dans lequel la presse peut puiser pour alimenter la réflexion de ses lecteurs…

En France, pour ne citer que cet exemple, existe une forte attente de compréhension et d’explication des changements en cours. Comparée à d’autres, la culture économique de notre pays reste faible, et enserrée dans une grille de lecture souvent passéiste.

Ouvrir les fenêtres, dégager la vision, donner des perspectives, en bref sortir des frontières hexagonales pour montrer la réalité du monde, voilà le formidable enjeu de la presse économique de demain.

Et puis, comme le reste des médias, cette presse est confrontée aux nouveaux moyens de communication. L’intrusion d’Internet l’oblige à une réflexion sur sa place et sa raison d’être. L’une de ses valeurs ajoutées réside, à mon sens, dans son traitement professionnel de l’information : les faits plutôt que l’émotion, les tendances plutôt que l’instantané.

Sur le terrain de l’interactivité mondiale, le journaliste économique doit apporter l’éclairage et le recul indispensables à une compréhension raisonnée des faits. Aider à rendre le monde intelligible, le décoder pour que chacun soit en capacité de lui donner du sens? Urgent!

Bienvenue chez Globalcom

Sans jouer les George Orwell, imaginons l’avenir. Dans le Rapport annuel 2015 de la société multinationale “Globalcom Inc.”, les chapitres les plus intéressants ne concernent pas les chiffres. Mais ceux qui décrivent les politiques d’embauche, de rémunération et de fidélisation du personnel, la stratégie de recherche et développement, et la gestion des brevets, licences et autres atouts logistiques, juridiques et intellectuels.

Grâce aux efforts de l’OCDE pour sensibiliser les investisseurs à l’importance des facteurs non financiers dans la réussite des entreprises, le monde financier est plus attentif à ce sujet que par le passé. Les analystes passeront ainsi à la loupe les affirmations de Globalcom sur ses nouvelles méthodes de stockage de données et sur ses systèmes pointus d’évaluation de la performance des cadres. Ils analyseront ligne par ligne la liste des licences, en prêtant une attention particulière aux couvertures géographiques et aux dates d’échéance.

Depuis le krach provoqué en 2015 par l’effondrement des cours de “Biggroup NV”, dû à la surévaluation des “actifs intellectuels” révélée par la fuite de son Directeur intellectuel au paradis fiscal antarctique de “Deception Island”, les investisseurs sont devenus frileux. Dans un contexte où les budgets publics ne financent plus qu’une petite partie des retraites, les citoyens savent que c’est à eux de faire de bons choix pour l’argent qu’ils ont mis de côté pour leurs vieux jours.

Là aussi, l’OCDE prêche pour que chacun se responsabilise, dans un monde où les familles de cinq générations ne sont plus rares. Et insiste auprès des gouvernements sur l’importance pour tous d’un niveau minimum d’éducation financière. Grâce aux cours de soir fournis gratuitement dans les grandes villes, les citoyens savent les risques qu’ils encourent en investissant leur argent dans les actions.

Dans un monde ouvert au commerce international, les comptes financiers de sociétés bien gérées comme Globalcom sont florissants. L’environnement juridique, social et intellectuel dans lequel des sociétés comme Globalcom opèrent est désor- mais un critère prééminent.
Cependant, comment évaluer les informations fournies par une direction rodée à donner à son entreprise la meilleure image possible ?

Heureusement, les sociétés d’audit ont pris les choses en main. A la suite de recommandations de l’OCDE, les autorités réglementaires des 97 pays faisant partie de son Comité de l’Investissement ont défini des standards de qualité pour l’informa- tion non financière et émis des instructions sur la façon dont les sociétés doivent en rendre compte.

Non pas qu’une nouvelle fraude de la taille de Biggroup soit impensable. Mais grâce à de nouveaux garde-fous, le monde financier est plus à l’abri qu’en 2001, lorsque l’affaire Enron a éclaté. Au-delà des chiffres, les analystes financiers ont appris à analyser toute sorte d’éléments extra- financiers, au point de devenir de véritables experts sur tout ce qui a trait, de près ou de loin, à l’activité des entreprises.

Une agora mondiale

L’évolution technologique et le renouvellement des modèles économiques permettent à des
flux toujours croissants de données de circuler à la vitesse de l’éclair autour de la planète ; cette évolution qui associe de plus en plus étroitement le texte, le son et l’image va se poursuivre. Les frontières entre la presse écrite, la radio, la télévision et le Web tendent à s’estomper; l’accès à l’information est appelé à devenir encore plus interactif et plus “mobile”, chacun choisissant “à la carte” dans le bouquet des médias disponibles ce qui lui convient, et pouvant réagir immédiatement sur les contenus qu’il a glanés.

La tendance à la concentration des acteurs pour obtenir des effets de taille sera contrebalancée par l’influence croissante des organisations de la société civile comme émetteurs d’informations. Le réseau mondial est devenu pour elles un terrain privilégié de militance. L’essor des forums et celui de la “blogosphère” confèrent à chacun la possibilité de diffuser des informations et d’exprimer des jugements à l’intérieur d’une communauté d’intérêts ouverte à tous.

Sont appelés à coexister sur cette agora mondiale de puissants réseaux planétaires animés par des logiques de marché, des groupes de dimension régionale plus ou moins autonomes par rapport aux précédents, et une immense variété d’organisations au service d’un intérêt à promouvoir, d’une liberté à préserver ou d’une cause à défendre.

Ces changements amènent à s’interroger pour l’avenir sur la qualité, la fiabilité et la pertinence des contenus de l’information économique et financière: dans la masse des informations disponibles, comment faire le tri entre le vrai, le faux et le manipulé, comment distinguer l’essentiel de l’accessoire, comment percevoir les fondamentaux au-delà du sensationnel et des anecdotes ? Ces interrogations ne sont certes pas nouvelles, mais la quantité d’information disponible et la multiplicité des émetteurs leur donnent une acuité plus grande. Elles revêtent une importance toute particulière dans le domaine économique et financier, car elles touchent aux intérêts des clients, des fournisseurs, des salariés, des investisseurs, des banquiers.

La vigilance des autorités de marché et de contrôle pour faire respecter les règles du jeu, l’adaptation de leurs modes de régulation et l’autodiscipline des principaux acteurs, entreprises, intermédiaires financiers ou analystes, ne répondront qu’à une partie limitée des problèmes ainsi soulevés. Plus que jamais, les journalistes vont avoir un rôle essentiel à jouer pour aider le public à mieux comprendre le monde économique dans lequel les gens vivent, en les guidant dans le maquis touffu des informations disponibles, en leur proposant des synthèses, des clefs d’interprétation, ainsi que leurs jugements de personnes raisonnables, compétentes et libres.

Internet, de l’adolescence à la maturité

Il est banal aujourd’hui d’invoquer Internet comme un des moyens de communication du XXI° siècle. Et pourtant, cet outil performant est encore dans une période d’adolescence : n’en ayons pour preuve que les nouvelles applications et utilisations annoncées quasi-quotidiennement.

La révolution de l’information économique dans les médias a débuté il y a quelques années déjà. Il suffit de revenir sur notre passé récent pour mesurer le chemin parcouru. Un exemple simple et frappant: il n’est plus nécessaire aujourd’hui d’attendre l’impression papier des résultats financiers d’une société pour les analyser. D’un simple “clic”, les voilà en moins d’une heure sur le site de la société concernée. Combien de semaines gagnées ?

De cet exemple, tirons les tendances de fond qui vont probablement marquer les dix prochaines années sur le plan de l’information économique et financière :
– Moins de papier, plus d’électronique, et donc plus d’information brute en temps réel.
– L’ensemble des objets mobiles servira de véhicule à l’information, celle-ci touchera donc des publics beaucoup plus diversifiés.
– Le journaliste devra apporter une plus grande valeur ajoutée à ses articles et donner une plus grande place à l’analyse.
– Les articles de fond et d’opinion prendront une dimension plus grande.
– Le contexte géopolitique et la mondialisation entraîneront des besoins d’analyse méthodique sous des angles nouveaux – la dimension régionale, l’environnement responsable… – comme une prise en compte plus importante d’éléments aujourd’hui considérés comme secondaires comme l’immatériel, le quantitatif, la comparabilité, etc.
– Les analyses des perspectives écono- miques, s’adressant à de nouveaux publics, se feront plus pédagogiques et moins élitistes. Elles reflèteront des tendances aujourd’hui nouvelles, mais demain communément admises. Ainsi, les premières pages feront moins référence aux Etats-Unis et plus à la Chine, à l’Inde ou à l’Amérique Latine.
– La transparence des marchés et des transactions exigera, tant des acteurs économiques et leurs régulateurs que des médias, une plus grande déon- tologie dans un monde ouvert, gouverné par des règles multinationales.

Nous regrettions hier la disparition des crieurs de journaux, j’ai bien peur que certains regrettent la disparition du journal papier tel qu’il existe aujourd’hui, dans un monde qui se développe de plus en plus à l’oral et à l’électronique. Ce papier journal aura, en fait, d’autres finalités. Ne regrettons pas le progrès !

Le journaliste et le blogueur

A l’automne 2006, un grand hebdomadaire français avait fait sa une sur « Internet, le 5e pouvoir ». Une des problématiques alors posée portait sur le poids des journalistes face aux 100 000 nouveaux éditorialistes “blogueurs” qui apparaissent chaque jour sur le Net. Si les sites des grands journaux sont encore leaders, force est de constater que le site de blog Engadget a plus de liens qui renvoient vers lui que Times On Line, Reuters ou Forbes, tandis que Boing Boing se situe au niveau de Business Week sur ce même critère.

Le développement spectaculaire d’Internet (un Français sur deux y consacre plus de deux heures par jour), le succès surprise des systèmes de “self-media” dont les blogs sont l’exemple symptomatique, et plus largement la reconnaissance inattendue de l’auto-production de contenu constituent un tournant majeur. Ces trois effets combinés légitiment l’information en provenance de tout un chacun avec, comme acteur majeur, des entreprises telles que Google. Chris Taylor ne proposait-il pas dans Business 2.0, début 2006, un scénario “Google is the media” en 2025 ?

Ce phénomène s’inscrit dans un fantasme de la “fin des intermé- diaires”, l’illusion de la disparition de toute médiation, qu’elle soit politique ou journalistique. Si les outils liés à Internet présentent de réelles avancées – démocratiques, quand ils aident les opposants aux régimes autoritaires, ou artistiques, quand ils permettent à des formes ou à des auteurs d’émerger –, ils posent néanmoins des problèmes quand il s’agit de l’information, en particulier économique et financière. En effet, les impacts de ces informations peuvent être directs et d’importance: diffusion de secrets industriels, rumeurs touchant des gouvernements ou des entreprises, cours des actions, etc.

Le rôle de médiation tenu par les journalistes demeure une fonction clé, en raison d’au moins cinq nécessités :
– La validation des sources d’informations (et, au-delà, le croisement nécessaire de plusieurs sources et non la répétition d’une source primaire),
– Le filtrage des informations, afin de faire ressortir les points sensibles (et de fait permettre au récepteur de ne pas être noyé sous trop d’informa- tions brutes),
– L’apport indispensable d’analyses (en particulier avec l’évolution des normes comptables et la fin poten- tielle des publications annuelles, l’évaluation permanente des entre- prises sur la base des dernières perspectives),
– La prise de recul et la mise en perspective (afin de corréler les informations simples avec les phénomènes complexes, au besoin à travers des analyses contradictoires),
– L’indépendance dans le rendu des conclusions.

Ce rôle est bel et bien celui des journa- listes, qui doivent demeurer des acteurs clés de l’information économique.

Si la transparence permise par Internet est un point positif, la fonction de médiation, de filtre et d’analyse des journalistes est à revalo- riser. Voltaire écrivait en 1737 que les “petits ruisseaux [sont] transparents parce qu’ils sont peu profonds” : aux journalistes de s’assurer qu’en 2015 leur rôle sera encore reconnu pour mettre de la profondeur dans l’information économique et financière.

Permettre aux citoyens de s’approprier l’économie

Tout d’abord, permettez-moi de souhaiter un heureux anniversaire à l’Association des Journalistes économiques et financiers. À travers elle, je tiens à saluer votre profession, dont l’évolution s’est accélérée au rythme du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’information économique et financière d’aujourd’hui se situe à la charnière du marché et de la démocratie. Les enjeux économiques influent sur les décisions politiques et la vie de nos sociétés. Ils ont une incidence sur notre avenir collectif.

Il est donc normal que les citoyens s’approprient l’économie et en fassent le sujet d’un débat public. De fait, les citoyens se sont emparés des outils de diffusion nés de la révolution numérique, notamment d’Internet, pour compléter leur savoir économique et financier, pour échanger leurs vues et pour participer à la vie des entreprises à travers l’actionnariat. Ils ont en quelque sorte transformé ces outils en instruments de démocratie directe à l’heure de la mondialisation. J’y vois une belle preuve d’émancipation et de maturité.

Mais qui dit démocratie dit accès de tous à l’information. En Europe, près de la moitié des particuliers utilisent Internet au moins une fois par semaine. Ces chiffres sont en progression constante, mais ils demeurent insuffisants pour porter l’économie européenne de la connaissance au niveau de compétitivité et de dynamisme que nous voulons atteindre.

L’accélération du progrès technologique, l’ouverture croissante des marchés, l’apparition de nouvelles puissances émergentes et les nouveaux modes d’utilisation des médias d’information auront nécessairement une incidence sur l’exercice de votre profession. Dans les années qui viennent, le principal défi que devra relever la presse économique et financière tiendra sans doute à la maîtrise du facteur temps. Décrypter une information toujours plus complexe et la mettre en perspective demandent, et demanderont encore plus demain, un haut niveau de savoir-faire et de compétences. Votre observation acérée des réalités multiples de la mondialisation sera plus indispensable que jamais.

L’anniversaire de votre association coïncide avec le 50e anniversaire des traités fondateurs des Communautés européennes. Ceci est une coïncidence heureuse. Les journalistes économiques et financiers ont été des spectateurs engagés, des observateurs critiques et constructifs de l’intégration européenne. Au moment où l’Union européenne s’élargit à 27 Etats membres, l’accompagnement médiatique de son développement et de ses activités est plus nécessaire et importante que jamais. Car, plus que jamais, l’Europe ne se construit pas de façon bureaucratique ou diplomatique – elle se construit de façon politique et démocratique…