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La finance est-elle en train de tuer le capitalisme ?

Pour Nicolas Véron, membre du centre de recherche économique européen Bruegel, à la question de savoir si la finance est en train de tuer le capitalisme la tentation est de répondre immédiatement par la négative. La raison en est simple, c’est que l’un ne se développe pas sans l’autre. En d’autres termes, le capitalisme – capital cumulable et échangeable – a besoin pour fonctionner de la finance – ensemble des activités qui permettent cet échange de capital. L’expression « capitalisme financier » serait donc un pléonasme.

Les travaux de Fernand Braudel dans les années 1970 ont démontré que les échanges monétaires au Moyen-âge constituaient déjà une forme de capitalisme, et que l’ère industrielle ne représente qu’une étape dans une histoire plus générale.
On peut donc en conclure que si un stade post-industriel est envisageable, ce n’est pas le cas du stade post-financier.

On entend de nombreuses explications simplistes sur la crise financière actuelle, par exemple qu’elle aurait été uniquement provoquée par des normes et des règles de comptabilité… Les économistes en général sont partagés entre une approche qu’on pourrait qualifier « de gauche » et une plutôt « de droite » pour expliquer la crise. Ainsi les premiers considèrent qu’il s’agit d’abord d’une crise du système de régulation financière, et pointent du doigt les paradis fiscaux et les intermédiaires financiers, comme les entreprises relevant du « shadow banking system » à l’origine des subprimes. Pour les seconds, la crise est due aux grands déséquilibres financiers mondiaux : endettement de l’Etat et des acteurs privés américains, limitation de la consommation dans les pays asiatiques qui ont accumulé un surplus d’épargne et augmenté par conséquent la dette en occident, etc.

Pour Nicolas Véron, les deux approches ne sont pas incompatibles, car cette crise résulte d’un échec collectif. On peut en effet considérer, d’une part, que le système régulateur, jusque là bien adapté au fonctionnement du marché, n’a pas su faire face aux déséquilibres actuels, et, d’autre part, que certaines entreprises ont pris des risques inconsidérés. Par ailleurs on assiste à une crise des systèmes d’information, notamment des agences de notation qui utilisent des outils obsolètes pour évaluer un monde financier de plus en plus complexe.

La finance est-elle indispensable ? En d’autres termes, pourrait-on envisager d’avoir une croissance économique sans finance ? On sait que certaines sociétés sont basées soit sur le troc, soit sur un système monétaire ne reposant pas sur les notions d’échange et d’accumulation de capital. Mais c’est un modèle qui ne pourrait être adopté à grande échelle, dans la mesure où ces sociétés fonctionnent généralement en autonomie et n’ont pas une croissance économique très forte.

Le rôle de la finance est de faire se rencontrer ceux qui ont « trop d’argent » : les investisseurs, et ceux qui n’en ont pas assez : les ménages, les entreprises, qui ont besoin d’un apport initial de capitaux extérieurs pour développer leur activité et avoir une croissance rapide. Google en est un bon exemple : en septembre 1998 ses deux fondateurs, étudiants, récoltent 1 million de dollars en faisant du porte à porte. Aujourd’hui, leur entreprise vaut 210 milliards de dollars à la Bourse de Wall Street. Pourtant Google est une entreprise de service, il n’était pas possible pour les banques de se rembourser sur les machines en cas de faillite, comme c’est le cas avec une entreprise industrielle. C’est ce changement de paramètres qui a conduit à sophistiquer de plus en plus le système financier, afin d’évaluer au mieux les risques de la société future.

On peut considérer aujourd’hui que la récession est imputable à la finance, plus précisément à un développement trop important du secteur financier. Les rémunérations y sont devenues considérablement plus élevées que dans n’importe quel autre domaine économique, les règlementations y ont été contournées grâce, par exemple, aux paradis fiscaux. Des pans entiers de ce système tournent en circuit fermé et ne servent plus à soutenir la croissance.

Cette notion de finance « parasite » ou « nuisible » peut-elle être éradiquée, comme le laissent entendre les discours de nos dirigeants sur la moralisation du système financier, ou bien est-elle intrinsèque à la finance proprement dite ?

Y a t-il de l’éthique en finance ? Max Weber considérait dans Ethique du capitalisme qu’elle est indispensable car elle établit une relation de confiance. Pourtant, on constate aujourd’hui à quel point on s’en est éloigné. Dans la réalité, les marchés financiers sont des lieux de pouvoir où se jouent des relations de domination qu’il est difficile de conjuguer avec des exigences morales. Il semble clair, partant de ces constats, que finance et stabilité sociale sont incompatibles. En d’autres termes, la finance permet aux sociétés de se développer en même temps qu’elle les déstabilise. Dans son roman L’argent, Emile Zola évoquait déjà en 1891 cette ambiguïté morale…

On a cru en octobre dernier que l’équilibre même sur lequel reposent nos sociétés était menacé, annonçant des scènes catastrophiques comme un retrait massif des économies en banque… On constate quelques mois plus tard que l’autodestruction annoncée du capitalisme n’a pas eu lieu. Selon Véron, on peut même considérer que c’est un système qui perdure depuis l’Empire Romain.
La crise actuelle a certes été prédite, mais jamais correctement décrite. A présent que nous sommes en récession, on ne peut pas plus se prononcer sur sa durée ni sur son évolution : Elle pourrait soit conduire à une crise sociale et politique, soit être résorbée par les institutions sociales et politiques. Cependant il est possible d’envisager différents scénarii.

La crise a instauré le retour de l’Etat prêt à offrir des garanties financières, ainsi qu’on l’a vu dans le secteur automobile puis dans les plans de relance nationaux. Cependant, ce retour s’accompagne d’une défaite des politiques publiques, qui n’ont pas su prévenir la crise. De manière plus générale, aucune politique connue depuis que le capitalisme existe n’a jamais su éviter l’instabilité financière, et de la même manière il n’existe aujourd’hui aucune philosophie de régulation qui remplacerait l’actuelle, défaillante.

Quel type d’Etat saura faire face à la crise ? Dans notre système mondialisé, la juxtaposition d’acteurs nationaux n’est pas crédible. Les entreprises françaises ont en effet depuis longtemps dépassé l’échelon national, or à ce stade seule une coopération entre Etats pourrait intervenir efficacement.

Le défi de la régulation du système financier ne pourrait être relevé sans la mise en place de nouvelles institutions supra-nationales crédibles. Dans le cas contraire, on risque un retour en arrière avec la fragmentation de l’action internationale, et les tentatives pour limiter les excès de la finance pourraient même conduire à un appauvrissement de l’humanité !

Selon Véron, on ne peut prédire actuellement si le nouveau système sera plus ou moins basé sur le marché, ni si les banques seront plus universelles ou à l’inverse très spécialisées. En revanche il y a fort à parier que ce système sera au moins aussi complexe et sophistiqué que le précédent.

Il n’est pas plus évident de se prononcer sur le futur modèle de capitalisme : ressemblera-t-il au modèle Rhénan, anglo-saxon ? On peut imaginer un système plus entrepreneurial, avec une croissance basée sur la connaissance et des actifs plus immatériels qu’industriels.

La crise a montré qu’une séparation étanche entre les systèmes financier, économique et social est un leurre. Quand le système financier va mal, c’est la société qui est frappée au cœur. On constate que la crise a simplement renforcé des tendances qui existaient auparavant. Plutôt que de tuer le capitalisme, on peut donc conclure qu’elle aura pour conséquence d’accélérer l’évolution du système financier actuel.

Intervention d’Olivier Garnier

Olivier Garnier, directeur général adjoint de Société générale Asset Management (SGAM), se propose d’apporter un autre angle de vue à travers un certain nombre de remarques, bien qu’il rejoigne Nicolas Véron sur le fond.

Il souligne tout d’abord que l’opposition qui est faite entre capitalisme d’entrepreneur et capitalisme de finance n’a effectivement aucun sens. Les entrepreneurs sans finance deviennent des rentiers puisqu’il n’y a plus d’échange de capital. On ne peut pas parler de « sphère non financière » dans le capitalisme. Il ne s’agit pas non plus de parler d’une « crise de la finance et des financiers » En effet, les récessions ont toutes eu des composantes financières mais la réciproque n’est pas vraie : certaines crises financières n’ont eu aucune répercussion dans le monde économique.

Pour Olivier Garnier, la finance correspond par définition à une prise de risques, dans la mesure où un investisseur doit faire confiance à un entrepreneur avant d’être certain que l’entreprise va marcher. On ne peut donc pas nier que la finance est responsable de la crise actuelle, mais il convient de se rappeler qu’elle a auparavant assuré la stabilité du système en jouant un rôle d’amortisseur. Ainsi, une mesure comme l’endettement a permis aux ménages de continuer à consommer… Elle a par ailleurs contribué à la forte croissance de l’économie américaine et au boom de la Chine. En d’autres termes, l’économie peut grâce à la finance passer les chocs usuels, mais, en contrepartie, elle est plus exposée à des catastrophes certes moins probables, mais plus graves.

Se demandant à son tour quelles seront les conséquences probables ou annoncées de cette crise, Olivier Garnier constate les points suivants :
– L’interventionnisme de l’Etat n’est plus remis en question. Mais il s’agit d’être vigilant face aux actions immédiates qui ne s’accompagneraient pas d’un arbitrage sur la croissance à long terme, notamment la tentation de protectionnisme… Il est en effet plus grave de perdre un point de croissance chaque année pendant 20 ans plutôt que 2 à 3 points pendant deux ans…
– On est actuellement loin d’une moralisation de la finance. Les actionnaires se sont repentis de leur négligence parce qu’ils étaient obligés de changer leur mode de réflexion et non pour des raisons éthiques… Il est très difficile de trouver un « bon » système financier.

Quels pourraient être les modèles gagnants après l’impact de la crise ? Personne ne peut le prévoir mais on peut envisager au moins à court terme un retour à plus de simplicité, une nouvelle demande pour des produits financiers plus lisibles. Cependant cette solution sera difficile à mettre en œuvre tant qu’on exigera par ailleurs un taux de rendement élevé, qui nécessite des produits de plus en plus complexes.

Cela traduit cependant un manque général d’éducation financière qui pousse les gens à accepter n’importe quel produit. Le paradoxe étant qu’il serait sans doute plus confortable pour les acteurs de la sphère financière d’avoir affaire à des clients mieux au fait des mécanismes financiers…

Les crises sont inhérentes au système financier. On en recense pas moins de trente et une entre 1720 et 1987 et il y a fort à parier que d’autres vont suivre. Chaque crise est différente des précédentes, mais toutes semblent suivre le même mécanisme : un choc technologique suivi d’une période d’euphorie, puis l’emballement du système et des escroqueries inévitables qui conduisent à la crise. De même la réponse politique est identique d’une crise à l’autre et se traduit par des promesses de régulation…

L’enjeu consiste à faire en sorte que la crise ait le moins d’impact possible sur l’économie et la société.

Nous les avons reçus en 2008

Olivier FLEUROT – Président exécutif de PUBLICIS, invité le 11/12/08

Jérôme CAZES – Directeur général de la COFACE, invité le 25/11/08

Bruno LASSERRE – Président du Conseil de la concurrence, invité le 18/06/08

MM. CHANEY & DAVANNE – Thème « conjoncture », invités le 13/06/08

Patrick KRON – PDG d’ALSTOM, invité le 04/06/08

Eric WOERTH – Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, invité le 23/05/08

Louis GALLOIS – Président d’EADS, invité le 20/05/08

Gérard MESTRALLET – Président de SUEZ, invité le 11/04/08

Pascal LAMY – Directeur général de l’OMC, invité le 08/04/08

Viviane REDING – Commissaire européenne chargée de la Sté de l’information et des medias, invitée le 03/04/08

José-Manuel BARROSO – Président de la Commission européenne, invité le 06/03/08

Jean-Pierre JOUYET – Ministre délégué aux affaires européennes, invité le 12/02/08

Ariane OBOLENSKY – Secrétaire générale de la FBF, invitée le 31/01/08

Capitalisme et bien commun : votre santé nous intéresse.

C’est un tour d’horizon qui dépasse le champ économique auquel nous convie Jean de Kervasdoué, le lundi 8 décembre 2008 à la Sorbonne. En commençant par remettre son propos en perspective en présentant une série de chiffres.

Il rappelle notamment que l’espérance de vie a plus que doublé en 2 siècles, passant de 35 à 81 ans entre 1800 et 2008, et que les femmes vivent en moyenne 7 ans de plus que les hommes.
Au niveau mondial les inégalités sont marquées. Après une convergence des indicateurs vers les années 1960 où l’Ukraine, par exemple, affichait des statistiques de mortalité plus ou moins égales à celles des Etats-Unis, des différences se font à nouveau sentir aujourd’hui. Certains pays, dont les Etats-Unis, sont en recul. En France même, on observe de fortes variations régionales, notamment entre le nord et le sud.

Autre constat pour Kervasdoué, la médecine coûte cher. Les infirmières d’autrefois, des religieuses travaillant jour et nuit sans congés payés, ont été remplacées par des salariés qui sont jusqu’à sept fois plus nombreux.

Partant de là, le conférencier pose la question suivante: comment se fait-il que les pays où les gens payent le plus pour les dépenses de santé sont ceux où ces dépenses coûtent le plus cher ? Pour lui, cela montre que le système de santé ne marche pas, plus en raison de corporatismes qu’à cause du capitalisme.

Portons-nous nos efforts dans la bonne direction pour améliorer la santé? On observe que la région Poitou-Charente – où il y a le plus de centenaires – a des dépenses de santé équivalentes à celles du Nord-Pas de Calais – où on vit le moins vieux – ce qui sous-entend que ces dépenses n’auraient pas de relation directe avec l’espérance de vie. Par ailleurs, on sait que l’impact de la médecine sur la santé ne devient positif qu’à partir de 1930, et qu’aujourd’hui il ne serait que de 20%. Un tel constat devrait être mieux pris en compte dans le débat actuel : sachant qu’on vit statistiquement mieux quand on a une mère éduquée, ne faudrait-il pas améliorer l’enseignement supérieur, plutôt que les hôpitaux?

Pourquoi ces incohérences dans le système actuel ? Pour Kervasdoué, cela tient à la stratégie de la profession médicale qui parvient à faire croire que médecine et santé veulent dire la même chose, et qu’il faut dépenser plus pour la première afin d’améliorer mathématiquement la seconde (argument qu’il vient de réfuter). Or la distinction entre les deux est de taille : la santé se réfère à l’absence de maladie, et plus généralement au fait d’être bien portant, quand la médecine est une science qui étudie le corps humain, et entre autres, le fait de le garder en bonne santé.

Par ailleurs, cette stratégie ne prend pas l’économie en compte, et, selon le conférencier, on « laisse filer les finances » en brandissant ce qu’on appelle le bouclier sanitaire. Actuellement, les dépenses de santé (à ne pas confondre avec les dépenses d’assurance maladie) en sont à 11% du PIB. Si on rapporte ces dépenses par année et par travailleur, cela revient à travailler tous les mois de janvier pour financer l’assurance maladie et jusqu’au 16 avril pour la protection sociale… Par comparaison, la Suède qui affiche un meilleur taux de santé n’y consacre que 9% de son PIB.

Le discours économique serait disqualifié au profit d’une médecine et de malades sacralisés, y compris dans les journaux où on confond parfois maîtrise comptable et maîtrise médicalisée.

Tout imparfait qu’il soit, le système de santé français reste avantageux par rapport à nombre d’autres pays. Ainsi l’Irlande, plus riche pays d’Europe pour son PIB par habitant, n’a ni pompiers ni SAMU ; aux Etats-Unis, 45 millions de personne n’ont pas d’assurance maladie, et la plupart des contrats d’assurance couvrent jusqu’à 45 jours d’hospitalisation, insuffisant en cas de maladie chronique et alors qu’une journée en service de psychiatrie coûte 1000 dollars ; en Grande Bretagne, les opérations dites de confort – la cataracte ou une prothèse de la hanche par exemple – se caractérisent par de grandes files d’attentes.

Kervasdoué pose la question du manque de contrôle dans l’activité médicale en France, soulignant notamment qu’on prescrit beaucoup plus que dans les autres pays – 80% des consultations donnent lieu à des prescriptions, contre 40% ailleurs, plaçant le pays au 2e rang des consommation de produits pharmaceutiques. Or on sait qu’un cas sur quatre d’hospitalisation en urgence est du à la surconsommation de médicaments, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que les interactions possibles sont exponentielles: il peut y avoir jusqu’à 4 milliards d’interactions possibles entre 11 médicaments donnés.

Par ailleurs, on constate que la carte médicale en France suit la carte de la pauvreté – il y a 4 fois plus d’infarctus du myocarde dans les régions les moins riches – or l’installation des médecins n’est pas réglementée. « Non assistance à personne en danger », pour Kervasdoué.

Revenons à l’économie. Le conférencier rappelle les principes préalables à l’existence d’un marché :
– l’infinité d’acheteurs (ici, les malades)
– l’infinité de vendeurs (les médecins)
– la symétrie d’informations
– la rationalité des facteurs économiques

Premier bémol, le marché de la santé a ceci de particulier que l’information n’est pas symétrique. On se sent malade, mais ne sait pas si on l’est. Puis on se sent mieux, sans savoir si c’est dû ou non aux médicaments. De plus, l’augmentation des connaissances d’une fois sur l’autre est nulle.

Comment réduire l’asymétrie d’informations ? C’est en théorie le rôle des médecins-conseils de l’assurance maladie, mais en pratique ils ont peu de moyens pour exercer.
Second bémol, l’absence de rationalité des facteurs économiques. En effet, le taux d’actualisation de celui qui va mourir est infini. Tout est conditionné au temps présent, y compris les dépenses de santé qui pourraient le sauver. C’est une question de vie ou de mort, et non pas de calcul rationnel.

Par ailleurs, la consommation de médicaments est un bien privé – au sens de ce que l’on consomme soi-même, contrairement au bien public dont chacun jouit sans le détruire, comme par exemple la beauté d’une ville. Or s’il y a un risque de contagion, chacun devient concerné.

Kervasdoué revient à sa question de départ : pourquoi payer plus cher quand on paye « de sa poche « ?

L’argent n’est en réalité pas le bon critère pour juger les consommations de soin, chacun ayant tendance à mal consommer. D’une part, les gens surconsomment quand les soins sont gratuits, et sous-consomment quand ces soins deviennent payants; d’autre part, on est mauvais juge de sa propre santé : on décide en fonction de la douleur, alors qu’elle n’est pas corrélée à la gravité.
Enfin, on a tendance à prendre d’autant plus de risques qu’on est bien assuré.

Kervasdoué s’intéresse à l’industrie pharmaceutique, à laquelle la médecine doit la majorité de ses améliorations. Or ce secteur est en crise grave notamment depuis l’apparition des médicaments génériques, dans la mesure où le monopole des molécules permettait jusque là de financer l’essentiel de la recherche. Par ailleurs, cette industrie n’a pas pris assez vite le tournant des biotechnologies, et elle tarde à présent à en récolter les bénéfices. Pour ces raisons, entre autres, elle se concentre en premier lieu là où le marché est solvable, et non là où les gens sont malades, ce qui explique le peu de progrès sur les maladies tropicales en général, et le fait qu’en France il n’y ait quasiment aucun lien entre recherche et causes de mortalité.

Le conférencier s’interroge sur la stratégie marketing de l’industrie pharmaceutique, prête à investir 1M$ dans la publicité sur un chiffre d’affaire total de 17M$, ce qui correspond pour la France à 30 000 euros de frais de publicité par médecin, et n’est pas sans répercussion sur le choix des médicaments prescrits in fine. On se demande comment réguler cette industrie?

L’évolution du système français :

Soulignant que ce sont les cliniques privées qui permettent chez nous d’éviter les files d’attente, Kervasdoué considère que le projet de réduction du nombre d’hôpitaux est intéressant – il y en a actuellement 1 pour 42 000 habitants, contre 1 pour 60 000 aux Etats-Unis et 1 pour 100 000 en Scandinavie…

Pour Kervasdoué, l’assurance santé est vouée à disparaître, à cause notamment de facteurs nouveaux comme la détection des risques sur Internet. A partir du décryptage du génome, un individu donné parvient à connaître son risque relatif de diabète, et peut s’assurer en conséquence. L’assureur, interdit par la loi française de se renseigner sur ces risques relatifs, ne possède pas une symétrie d’information. Or il est voué à la faillite s’il n’assure plus que des personnes qui s’avèrent malades à long terme…

En France, les dépenses de santé ne sont pas redressées parce qu’on se protège derrière l’euro, mais cette situation sera amenée à changer sous la pressions soit des pays voisins comme l’Allemagne, soit des nouvelles générations… changement qui s’effectuera, selon le conférencier, à l’horizon 2015.

Au final, le problème en France réside moins dans l’absence d’idées que dans le manque de capitaux. Ainsi, l’inventeur de la chirurgie endoscopique est français, mais les machines sont allemandes ou japonaises, ce qui montre un des bons côtés du capitalisme…

Etats-Unis : le capitalisme détruit-il la société ?

A la question de savoir si, aux Etats-Unis, le capitalisme détruit la société, on est tenté de répondre d’emblée par l’affirmative, tant le capitalisme américain semble avoir entraîné la marchandisation de la société et un recul social indéniable dans les années récentes. Mais pour Jacques Mistral, qui intervenait le 17 novembre à la Sorbonne, cette question ne peut être abordée sans prendre en considération ce qui différencie la France des Etats-Unis. On ne peut pas appréhender correctement la situation américaine avec un raisonnement uniquement « français ».

Pendant longtemps aux Etats-Unis cette question n’était pas abordée en dehors des cercles universitaires, ce que Jacques Mistral explique par deux facteurs : d’une part une croissance rapide qui semblait rendre inutile de telles considérations, d’autre part le manque de maturité de la plupart des outils statistiques, qui empêchait d’obtenir rapidement des résultats intéressants.

Or, depuis quelques années, un certain nombre d’évènements ont ramené cette question sur le devant de la scène : le problème des délocalisations, par exemple, ou encore le constat que l’essentiel des revenus était capté par seulement 1% de la frange la plus aisée de la société. Parallèlement, certaines idées acceptées de longue date ont été contredites par les faits :

– Le mythe de la mobilité américaine : aujourd’hui il ne suffit plus d’être entreprenant et avisé dans ses choix pour réussir. L’enseignement supérieur de grande qualité aux Etats-Unis, garant de cette mobilité sociale, et stimulé au lendemain de la seconde guerre mondiale, est de plus en plus réservé à une élite du fait des coûts de scolarité en hausse. Comme dans nombre d’autres pays industrialisés, il devient plus facile d’intégrer une grande école quand on est soi-même fils de polytechnicien.

– Le travail aux Etats-Unis : on a longtemps considéré qu’il suffisait de vouloir pour pouvoir travailler, idée que semble corroborer un taux de chômage relativement bas (de l’ordre de 5% au troisième trimestre 2008). Or on constate que ce calcul ne prend pas en compte les chômeurs de longue date sortis du marché du travail, et qui sont prêts à le réintégrer en tant que personnes actives dès qu’il y aura une opportunité. En d’autres termes, les gens ne restent pas longtemps dans la catégorie «actifs en recherche d’emploi », pourtant c’est sur cette notion que s’établissent les chiffres officiels. En réalité, la situation est à certains égards similaire à celle de pays en voie de développement, où l’on voit dans les rues de nombreuses personnes qui toute la journée « tiennent les murs ».

On peut également citer d’autres domaines où se jouent les inégalités sociales : couverture santé, retraites financées par les fonds de pension, etc.

Cependant, le droit social aux Etats-Unis ne peut se résumer à ses liens avec l’économie. En effet, on accordera autant, sinon plus d’importance aux avancées historiques depuis les Trente Glorieuses que représentent la cause des femmes et celle des droits civiques.

Capitalismes, capitalisme aux Etats-Unis

Jacques Mistral souligne qu’il est inexact de parler de capitalisme au singulier, tant il a connu de formes différentes au cours du temps et en fonction des pays : le capitalisme rhénan en Allemagne, l’avant et l’après Thatcher en Grande Bretagne…. Sa constante, pour le conférencier, réside dans ce mouvement de destruction créatrice décrit par Schumpeter : détruire sans cesse ce qui fut pour construire du neuf. A la différence des autres systèmes économiques inféodés à la société, le capitalisme a dans une certaine mesure pris son autonomie et tenté de vivre hors de la société – théorie du marché autorégulateur – mais cette utopie est actuellement en train de disparaître.

Pour Jacques Mistral, les Etats-Unis sont le théâtre, dans les dernières décennies, de deux révolutions capitalistes :l’une qui commencé sous Reagan et s’est terminée sous Bush ; l’autre qui pourrait naître de la récente élection de Barack Obama. Les deux mouvements se suivent donc de près, confirmant la théorie dite des réalignements critiques .Alors qu’on a en France un parti qui se crée dès lors qu’émerge un nouveau courant de pensées, la structure des partis américains est beaucoup plus rigide de premier abord (deux grands partis prenant successivement le pouvoir), mais beaucoup plus souple à l’intérieur même de ces partis, car ils doivent intégrer en leur sein tous les courants d’idées nouvelles. C’est la raison pour laquelle un libéral ou un républicain américain ne correspondra jamais à un homme de droite ou de gauche en France.

On peut se demander comment l’Amérique est capable de tels balancements, passant de Roosevelt à Reagan et Bush puis Obama…
Dans son discours prononcé en 1934 à Philadelphie, Roosevelt justifiait l’intervention de l’Etat par la nécessité pour un peuple de sortir de la pauvreté avant de pouvoir être libre. Cette position a été remise en cause sous Reagan, et on a assisté à un retour au principe du libre marché, rendu plus populaire encore par le déclin du communisme.

Pourquoi le compromis des Trente Glorieuses a-t-il été mis à mal pendant la révolution conservatrice ? Une des raisons avancées par Mistral tient à la méfiance intrinsèque des américains envers un Etat souvent jugé trop intrusif dans leur vie privée, et ne sachant pas gérer l’argent public – un sentiment renforcé récemment avec le désastre de Katrina.

Le président Reagan a donc conduit le gouvernement à se retirer de nombreux domaines de la vie des américains, et même si Mistral rappelle son côté pragmatique – acceptant de discuter avec Gorbatchev au sujet de l’armement nucléaire, recevant pour la première fois un couple homosexuel à la Maison Blanche – on garde de lui une image très conservatrice, pour aussi populaire qu’elle ait été. Phénomène amplifié par les positions des néo-conservateurs, dont l’influence s’est étendue jusque dans les plus hautes instances publiques.

Cette influence s’est maintenue alors même qu’émergeaient et se renforçaient les inégalités sociales. Pourquoi une réaction du peuple américain a-t-elle mis tant de temps à prendre corps ?
Mistral l’explique par plusieurs facteurs, au rang desquels un niveau de vie en hausse et le paiement à crédit qui ont donné aux Américains l’illusion d’une prospérité à portée de main ; le triomphe du modèle américain après la chute du mur de Berlin ; l’impression qui en découlait, que l’Histoire s’arrête au capitalisme ; mais aussi, un certain repli individualiste de la classe moyenne, qui voyait d’un mauvais œil les mesures du Welfare State en faveur de l’emploi se concentrer sur certaines communautés – les minorités, pour la bonne raison qu’elles étaient les plus pauvres, et non les plus paresseuses comme certaines campagnes républicaines des années 1990 tenaient à le faire croire…

Or, le pacte social, qui s’illustre dans l’accession à la classe moyenne pour toute personne prête à travailler dur, a dans son ensemble arrêté de fonctionner. Les Américains prenant conscience du recul social ont fini par se révolter contre la politique néo conservatrice en vigueur, d’autant que s’y ajoutaient d’autres motifs de mécontentement, tels que la corruption, le chaos iraquien ou l’incompétence des autorités après le passage de l’ouragan Katrina.

L’élection de Barack Obama à la présidence ouvre-t-elle la voie à une nouvelle révolution ? La crise financière et économique qui secoue actuellement le monde constitue un défi de taille pour la future administration américaine. Mais pour Mistral, il est impossible de dire dès maintenant ce que sera la politique de Barack Obama – tentation ou non de protectionnisme, aide au secteur automobile, réforme plus ou moins poussée du système de santé (que par ailleurs les américains n’approuvent pas forcément) Certaines idées héritées de la précédente révolution restent enracinées dans les mentalités américaines, et des risques pour la croissance à long terme sont réels. Jacques Mistral considère que l’Amérique est en mesure de réagir plus rapidement que l’Europe, et que les deux puissances n’adopteront pas nécessairement des points de vue convergeant au sujet de la crise, bien que le sommet du G20 constitue une étape à souligner dans la relation entre les pays riches. Il rappelle pour finir que Roosevelt n’avait à son arrivée au pouvoir pas de politique clairement définie, et qu’il a fallu attendre 1933 pour assister à la mise en place de son New Deal…

En conclusion, Mistral rappelle que les Américains sont fiers de leur continuité institutionnelle depuis 200 ans, sans commune mesure avec les déséquilibres successifs qui ont secoué la France. C’est le pays du New Deal, lancé alors que l’Europe sombrait dans le fascisme, c’est une économie qui s’est hissée à la première place mondiale en deux siècles, c’est le pays qui a élu Barack Obama, premier président métis, qui rappelait dans son discours de Chicago au soir de sa victoire que « tout est possible en Amérique ».
Sarah Simon

L’histoire s’arrête-t-elle au capitalisme ?

C’est une nouvelle fois Daniel Cohen, professeur à l’École normale supérieure, qui a inauguré, le lundi 6 octobre à la Sorbonne, le cycle des conférences organisé par l’AJEF, intitulé cette année « Le capitalisme dans tous ses états ». Il avait à répondre à la question suivante : « L’histoire s’arrête-t-elle au capitalisme ?  »

De nombreux penseurs se sont penchés sur cette question. Ainsi, si on se base sur les théories de Marx, la réponse est évidemment non. Le capitalisme constituerait plutôt une transition entre le système précédent – le féodalisme – et un autre système à venir – le socialisme.
Mais Daniel Cohen se refuse à répondre directement à la question. Tout au plus nous propose-t-il d’anticiper l’avenir plus ou moins immédiat du capitalisme mondial, grâce à une lecture de son histoire depuis la seconde moitié du 18e siècle.

Il souligne le fait que le capitalisme aujourd’hui semble reporter à l’échelle planétaire les évènements qui ont eu cours en Europe depuis le milieu du 19e siècle. La situation en Inde et en Chine, où les société rurales sont détruites par l’industrialisation, est similaire à celle qu’a vécue la France deux siècles auparavant. En d’autres termes, l’histoire du monde est en train de répéter ce qui fut une histoire singulière. Si on considère qu’en Europe cette histoire s’est soldée par les conflits du début du 20e siècle, on est en droit de penser que le 21e siècle s’annonce éminemment dangereux ! L’enjeu serait donc pour les puissances émergentes de ne pas reproduire les mêmes erreurs …

Cette lecture critique ne correspond pas à la tendance que nous avons d’interpréter notre histoire comme un mouvement vers la paix, et donc comme un modèle de société à même d’être exporté à toute la planète. Or, de nombreuses études ont démontré le contraire. Ainsi les chercheurs Philippe Martin, Thierry Meyer et Mathias Toenig ont constaté dans La mondialisation est-elle un facteur de paix? que la prospérité et le commerce avaient des effets à double tranchant. Loin de tempérer les ardeurs belliqueuses entre deux peuples économiquement dépendants, le commerce à l’échelle mondiale a, d’une part, permis à ces peuples de s’affranchir de leur relation bilatérale, mais leur a donné, d’autre part, les moyens économiques de se faire la guerre.

De même, des études sur l’origine sociale et culturelle des terroristes montre que la plupart sont cultivés et possèdent des diplômes, ce qui tendrait à montrer que l’éducation donne en réalité aux hommes mauvais de nouvelles possibilités de l’être !

On constate qu’aujourd’hui le débat sur le capitalisme se limite à deux points de vue opposés:
la vision d’Adam Smith, selon laquelle l’économie a une double vertu : elle est plus productive dans la mesure où chacun se spécialise dans le domaine où il est comparativement le plus fort ; elle garantit la liberté d’accès au marché du travail, contrairement aux systèmes basés sur le servage et l’esclavage.

la vision de Marx, qui oppose au capitalisme utopique de Smith un capitalisme réaliste, défini selon la réalité des conditions de travail un siècle plus tard : les masses laborieuses ne sont pas libres, elles sont obligées d’accepter le travail qu’on leur propose.

Les travailleurs au 19e siècle sont, selon Marx, condamnés par la révolution industrielle, car la prédiction d’Aristote s’est réalisée : il n’y aura plus besoin de travailleurs le jour où la navette courra d’elle-même sur la trame.

Dans les pays où le capitalisme existe depuis longtemps, on considère qu’aucune des deux approches n’est exacte. Ainsi dans les faits, la condition ouvrière s’est considérablement améliorée (avec entre autres la multiplication du salaire par 7 durant le 20e siècle), contredisant la théorie de Marx selon laquelle le capitalisme est incapable d’enrichir le prolétariat.
Le débat actuel serait donc à recentrer sur d’autres problématiques. Afin de les comprendre, il est nécessaire, considère Daniel Cohen, de remonter aux débuts du capitalisme « à l’européenne ».

Au cours des siècles le capitalisme a connu différentes phases, et ses formes actuelles n’ont plus rien à voir avec ce qu’il était au 20e, ni au 19e siècle. Cependant, on observe que chaque phase est liée à une révolution industrielle.

La machine à tisser dont rêvait Aristote a bel et bien vu le jour, en 1733 à Manchester. C’est le point de départ de la révolution industrielle en Angleterre. Le concept est repris et amélioré, et permet de doubler la productivité. Cependant cette cadence se heurte aux délais qu’implique le filage, et on découvre qu’un retard dans un seul secteur d’une filière donnée menace l’équilibre de l’ensemble. Problème résolu en 1764 avec l’invention de la machine à filer, qui offre un rendement 63 fois supérieur à l’activité manuelle. L’utilisation de la vapeur pour cette machine est ensuite reprise pour les trains… c’est l’emballement de l’industrialisation. Chaque pan d’une même filière est à son tour amélioré, afin de ne plus déséquilibrer l’ensemble. Ainsi la question de la teinture des tissus provoque l’essor de l’industrie chimique, qui entraîne à son tour l’amélioration de l’industrie pharmaceutique et donc plus de progrès médicaux…

A cette époque, l’industrie textile est devenue le leading sector de la production en Angleterre.
C’est ce phénomène d’emballement, dépassant chaque fois les obstacles techniques pour augmenter la croissance, que Schumpeter appelle la « destruction créatrice ».

Qu’est-ce qui, partant de ce mouvement, va entraîner aujourd’hui la croissance des pays en voie d’industrialisation, soit vers le meilleur, soit vers le pire ?

L’héritage social des Trente Glorieuses

Pour répondre à cette question, nous revenons sur ce qui a constitué la 2e phase du capitalisme en Europe : les Trente Glorieuses.

L’héritage de cette période qui va de 1946 à 1975 est étonnant : la croissance économique a atteint des rythmes jamais égalés auparavant et plus jamais retrouvés par la suite, avoisinant les 5% alors que la moyenne actuelle est de 2,1% . Aujourd’hui, le taux de croissance correspond en réalité à la moyenne observée pour l’ensemble du 20e siècle, et au double de celle du 19e siècle. La croissance de manière générale est donc plus rapide Pourtant, nombreux sont ceux qui considèrent la période actuelle comme mauvaise, car ils la comparent à celle des Trente Glorieuses. C’est une désillusion qui guette de la même manière les pays actuellement en forte croissance.

Par ailleurs, les Trente Glorieuses ont laissé croire que la croissance soignait les blessures qu’elle avait elle-même infligées. Ainsi, la crise de 1929 a été résolue, et on a cru qu’on avait atteint la fin de l’Histoire, en d’autres termes qu’on s’acheminait maintenant vers un avenir où la croissance et la prospérité étaient garanties. C’est une illusion dont on a du mal à faire le deuil depuis 1973.

A l’époque des Trente Glorieuses, la question sociale consistait à venir en aide à ceux qui ne pouvaient pas travailler, à savoir les femmes en congé maternité, les retraités et les chômeurs (situation rare et de courte durée). Les salaires indexés sur la croissance constituaient la garantie que chacun profiterait de la prospérité. Mais le ralentissement de la croissance a entraîné des mécanismes pervers, comme la hausse du chômage et la mise à mal du principe de la solidarité intergénérationnelle, le système de capitalisation pour financer les retraites tendant à se substituer au système de financement par répartition.

Cette évolution révèle que la solidarité est forte quand la croissance est forte, et qu’elle cesse d’être attractive quand la croissance baisse, alors même qu’on la croyait « inscrite dans le marbre de l’Etat Providence » C’est donc une nouvelle désillusion, attendant toutes les sociétés qui aborderont tôt ou tard le ralentissement de leur croissance économique. 

Le bonheur des sociétés

Entre 1945 et 1975, les Français ont triplé leurs revenus; Ils n’en sont pas moins devenus malheureux dès le ralentissement de la croissance. De nombreuses études ont en effet mis en évidence que le bonheur d’une société ne dépend pas de son niveau de richesse, mais de l’augmentation de cette richesse. En d’autres termes, la civilisation matérielle rend les gens heureux à hauteur des changements qu’elle promet.

Ainsi, une société pauvre mais à forte croissance telle la France des années 1960 est préférable pour le bonheur à une société riche en stagnation, comme la France des années 1980.
Ceci s’explique par la transformation de la société vers toujours plus d’individualisme et une perte de confiance dans toutes ses structures (éducation, justice, syndicats, gouvernement, partis politiques…)
Au niveau individuel, c’est la variation positive de revenu qui rend les gens heureux, : on veut toujours plus, quelque soit le niveau de richesse.

Qu’est-ce que le bonheur ?

La question posée à travers le monde dans plusieurs enquêtes a donné les résultats suivants :
situation matérielle : environ 65%
santé, famille : environ 35%
A noter que la paix dans le monde récolte à peine 0,5% !!

Daniel Cohen met en évidence trois facteurs qui expliquent les raisons pour lesquelles le ralentissement de la croissance rend une société malheureuse :

– On se compare toujours à un « groupe de référence », et on est heureux en fonction de l’écart qu’on parvient à creuser par rapport à ses voisins. C’est un but impossible à atteindre quand l’ensemble de la société s’enrichit au même rythme, cependant une forte croissance permet d’aller toujours plus loin.

– Le consommateur est soumis à « l’effet tunnel », théorie développée par Hirschman : un automobiliste coincé dans un embouteillage va dans un premier temps se réjouir que la file voisine avance, car cela indique la fin du bouchon. Mais très vite il va s’énerver de ce que la sienne n’avance pas aussi vite… De même, le consommateur sera frustré s’il constate que son voisin possède des objets qu’il ne peut lui-même pas s’offrir. Dans le cas contraire, il sera soulagé d’avoir la preuve qu’il fait toujours partie de cette société de consommation. Ce n’est donc plus seulement l’envie de faire mieux que son voisin qui entre en jeu, mais aussi l’envie de posséder les mêmes objets.

– La consommation en elle-même est une addiction : on a besoin d’acheter toujours plus pour conserver le même niveau de satisfaction. Il est par ailleurs très difficile de revenir en arrière dans une société de consommation – ainsi combien de personnes seraient prêtes à se passer de leur téléphone portable aujourd’hui ?

Cohen souligne ainsi que dans une société, les riches ne sont pas forcément plus heureux que les pauvres, car ils sont tout autant soumis au phénomène d’addiction et à « l’effet tunnel »… Il va plus loin en soulignant que la mixité sociale à l’école favorise le bonheur des classes aisées. Une enquête réalisée sur les aspirations de différentes classes d’âge, « si nous étions riches », révèle que les adolescents ont les mêmes désirs, mais que ceux-ci divergent ensuite en fonction de la catégorie socioprofessionnelle. Un ouvrier tout comme un rentier aura des aspirations en fonction de son seul milieu de référence…
Par conséquent, seuls les riches auront assouvi les désirs que tous exprimaient à l’âge de 15 ans.

Si on sépare à l’école les classes aisées et pauvres, on constate que les ambitions ne sont plus identiques : les enfants riches ne rêvent plus seulement d’une voiture, ils rêvent d’une Porsche… et l’objectif est donc plus difficile à atteindre. Le groupe de référence est trop homogène pour qu’il y ait de réelles différences de réussite à l’arrivée. Privés de leur outil de comparaison, les riches seront donc aussi malheureux que les pauvres !

Les défis des pays en développement
En conclusion, ni Smith, ni Marx n’avaient prédit une croissance économique aussi forte.
Cependant la France est malheureuse, car la société de consommation crée une addiction à la croissance économique que cette même société ne peut plus assouvir.

La Chine aujourd’hui a tout à créer et à acquérir. Viendra le temps du ralentissement, qui produira les mêmes effets qu’en France quand elle aura atteint le mur (c’est-à-dire la fin de la croissance forte) alors qu’elle-même suivait le modèle des Etats-Unis.

Le défi que doivent relever des pays comme l’Inde et la Chine consiste à créer un système de solidarité résistant au futur ralentissement de leur croissance économique, puisqu’ils savent -en se basant sur l’expérience européenne- que ce phénomène est inéluctable. Le risque majeur est la montée du nationalisme. Or on sait que la tentation de l’exacerber pour garantir l’unité de la nation est grande : les puissances européennes y ont cédé à la fin du 19e siècle, menant aux guerres que l’on sait…
Partant de là, penser que l’Europe est un exemple à suivre relève d’une amnésie totale de ce qu’elle a vécu depuis le 19e siècle.

Si le problème n°1 lié au capitalisme mondial correspond au risque d’une montée des nationalismes, le problème n°2 est lui d’ordre écologique :
L’ère préindustrielle était régie par la loi dite de Malthus : la croissance économique et démographique se heurtait aux limites du territoire et des ressources naturelles dont disposait une société donnée. Ces limites abolies par le progrès industriel se retrouvent à présent à l’échelle planétaire. La réponse au cas par cas n’est plus possible, seule la coopération entre toutes les nations permettra de résoudre les problèmes écologiques.

Partant de ce constat, on peut être très pessimiste, considérant d’une part que les nationalismes seront toujours exacerbés, d’autre part que les nations seront incapables de collaborer à l’échelle mondiale face aux problèmes écologiques… mais pour Cohen, il est aussi possible d’être plus optimiste et de se dire que chaque menace constituera précisément un facteur d’équilibre réciproque.

Y a-t-il des guerres justes ou seulement des guerres justifiées ?

« Y’a-t-il des guerres justes, ou seulement des guerres justifiées ? » C’est ce à quoi a répondu, lundi 14 avril 2008, dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne, Pierre Hassner, spécialiste des relations internationales. Bien des thèses s’opposent.

D’un côté, par exemple, nous avons celles de Nietzsche, considérant qu’une « bonne guerre justifie n’importe quelle cause », en évitant notamment à une société de tomber dans l’égoïsme et le matérialisme individuel. A l’inverse se situent les témoins de Jéhovah qui voient la guerre comme un crime et refusent tout système offensif ou défensif. Entre ces deux positions, Pierre Hassner propose un point de vue intermédiaire.

Le terme de « juste » renvoie d’une part à une conception morale de la justice, d’autre part à l’idée d’une conformité aux règles du jeu, de la même manière qu’il paraît injuste d’avoir perdu un match de foot suite à une tricherie.

Comment faire régner la paix entre les peuples ? Il n’existe à l’heure actuelle aucune institution, aucun tribunal qui pourraient faire respecter les lois internationales. L’ONU, la Cour pénale internationale n’en sont, selon Hassner, que des embryons. De même, Hobbes, Kant ou Rousseau sont autant de penseurs qui ont reproché au droit international de ne pas aller au-delà des principes moraux. Pour Rousseau, la paix perpétuelle ne peut être acquise qu’au prix de guerres terribles (la guerre pour mettre fin à la guerre). Pour Kant, la paix n’est pas un état naturel, il convient de l’instituer dans un Etat de droit. Les Etats républicains doivent gouverner parallèlement aux institutions internationales, et la paix doit être assurée par un pacte de non-agression, et garantie par le fait que la violation des droits de l’homme sur un quelconque coin de la planète sera forcément connu de tous.

Loin des exactions de la Grande Bretagne en Inde et de la France dans ses propres colonies, il est aujourd’hui impossible de faire de la répression sauvage quand on se proclame par ailleurs un Etat « juste », et ce, grâce au développement des moyens d’information : c’est le monde entier qui nous regarde.

La raison du plus fort

Y a t-il des règles spécifiques à la guerre ? A l’instar des Athéniens attaquant la Cité de Mélos et massacrant sa population parce qu’elle était neutre dans la guerre du Péloponnèse, on pourrait répondre cyniquement qu’il n’y en a pas. Partout le plus fort supplante le plus faible, dans une logique de lutte pour la vie qui n’est pas sans rappeler les thèses de Darwin. Primo Lévi, frappé par un SS et en demandant la raison, s’entendit répondre « es gibt kein warum ». Il n’y a pas de pourquoi, c’est la raison du plus fort qui prime.

Pour Kissinger, chantre de la realpolitik, le plus fort a besoin du pouvoir pour soumettre le plus faible à son idéologie, à son mythe, sous peine de perdre à son tour. Le droit du plus fort s’institue en lois pour lui permettre de rester le plus fort.

Bien souvent la justice correspond à ce qui est établi. Ce n’est pas le plus sage ou le plus intelligent qui gouverne, c’est le fils du roi. Pour y adhérer, le peuple doit sentir que la loi justifie cela, même si cette justification est faussée. Citant Pascal, on peut alors espérer que « le plus fort sera le plus juste ».

Les guerres menées par Napoléon ou Hitler sont autant d’exemples de contournement des règles, au sens de schémas connus et attendus de tous : le blitzkrieg était d’autant plus efficace qu’il déroutait l’adversaire, il ne correspondait pas aux règles convenues.

L’Histoire tribunal du monde

Hegel a dit : « L’histoire du monde est le tribunal du monde ». La guerre en Iraq s’est fondée sur le pari d’une justification rétrospective : elle aurait été légitimée si des armes de destruction massive avaient été trouvées. « l’Histoire nous donnera raison ». Mais qui va juger ? Qui juge les juges ?

Ainsi les guerres de religion étaient justifiées par des principes qui n’ont plus cours dans des Etats devenus laïques. Une guerre juste dépend donc du point de vue !
Deux Etats en guerre sont tenus de limiter les dégâts, de paralyser et aveugler l’adversaire (la guerre technologique) sans aller jusqu’à le tuer. Mais cette règle ne s’applique pas aux pirates, considérés comme ennemis de l’humanité, et contre qui tous les coups sont permis. Quelle légitimité à cette attitude quand on sait qu’on adoptait, naguère, la même face aux indigènes qui étaient soi-disant dépourvus d’âme ?

Les critères de justification de la guerre

Hassner décline un certain nombre de critères qui permettent communément de déterminer quand il est juste de déclencher une guerre, et comment la faire.

La juste cause

La guerre est justifiée quand il s’agit de défendre la Nation et soi-même, et, par extension, de défendre les autres : en d’autres termes « l’assistance aux personnes en danger ». C’est ce que Bernard Kouchner appelle le « droit d’ingérence », ou « l’obligation de protéger » : la communauté internationale se doit de réagir quand un Etat ne peut plus protéger ses sujets, ou quand il les persécute. Mais qui représente cette « communauté internationale » ?

Par ailleurs, quelle est la limite de cette juste cause, quand on sait que Hitler justifiait sa guerre en déclarant « protéger les allemands des peuples belliqueux » ? On voit que certaines règles reconnues comme légitimes pour déclencher une guerre (ce qu’on appelle jus ad bellum, le droit de la guerre, par opposition au droit dans la guerre ou jus in bellum) permettent en réalité de faire ce qu’on veut.

Au Moyen Age, la juste cause par excellence était l’honneur, aujourd’hui c’est par exemple d’éviter la disparition de la Serbie. Quelle légitimité aura cette cause dans quelques siècles ?

Le dernier ressort

On déclenche une guerre parce qu’on est arrivé à la conclusion qu’il n’y a pas d’autre solution. Mais à partir de quel moment peut-on légitimement s’en convaincre ? Doit on tout essayer au risque de laisser l’adversaire prendre des forces, ou bien agir avant d’avoir tout tenté au nom de la conviction que rien ne marchera?

La proportionnalité

Une guerre est juste si le mal infligé n’est pas supérieur au mal qu’on veut éviter. Mais comment calculer ce mal, et surtout qui va le calculer ?

La probabilité de succès

Une victoire militaire facilement acquise n’est pas toujours synonyme de succès, car c’est après que commencent les ennuis. On l’a vu dans la guerre en Iraq : soit on s’en va trop tôt et les troubles recommencent, soit on s’en va trop tard et alors le libérateur devient l’occupant.

L’intention droite

On voit tout de suite l’écueil de ce critère, car, encore une fois, comment juger ? Ce sont les Vietnamiens qui ont mis fin au génocide cambodgien, sous prétexte que leur pays était menacé : bien que leurs intentions n’étaient pas au sens strict « justes », ils ont tout de même sauvé des personnes du génocide. De son côté, la France est intervenue au Liban pour protéger les chrétiens : raisons humanitaires ou politiques déguisées sous le nom d’« interventions d’humanité » ?

L’autorité légitime

En Europe, il s’est agi pendant longtemps de l’Eglise catholique. Ainsi du temps où l’autorité du Pape était reconnue comme légitime, les guerres de croisade étaient justifiées car l’Eglise commandait que les princes se battent contre les Sarrasins au lieu de se faire la guerre entre eux.

Aujourd’hui, on justifie une guerre à partir de deux grands principes :

Le principe de proportionnalité qui consiste à justifier une guerre si le nombre de morts est inférieur qu’en cas de non intervention. Ainsi au Kosovo et pendant la guerre du Golfe, l’intervention américaine a fait peu de morts par rapport aux dégâts occasionnés par les bombes.
Le principe de discrimination qui recommande de ne pas frapper les innocents (ceux qui ne combattent pas).

Les 19e et 20e siècles ont vu l’essor du droit humanitaire, institué en 1859 après Solferino, par la naissance de la Croix Rouge. Mais la première guerre mondiale et ses progrès technologiques destructeurs on fait voler ces intentions en éclat. Ce fut pire pendant la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle les « innocents » ont représenté 50% des victimes, part qui n’a cessé d’augmenter depuis.

La dissuasion comme arme ultime

L’idée qui a germé principalement en France consiste à penser que la technique qui avait augmenté le nombre de morts pourrait devenir une arme de dissuasion : la guerre devra être évitée puisqu’elle porte en elle la menace d’un suicide mutuel et du suicide de la planète. Ce système a tenu jusque là, et probablement évité une troisième guerre mondiale lors de la guerre froide, au moment de la crise de Cuba. Or, depuis, une discussion morale s’est engagée, surtout dans les pays anglo-saxons, remettant en cause la dissuasion. N’est-ce pas barbare d’éviter d’être attaqué en menaçant l’adversaire de destruction totale ? Et, surtout, la dissuasion ne risque-t-elle pas d’échouer au final ? Aux Etats-Unis, ces réserves ont conduit à l’adoption de la guerre préventive, en combinant les principes de discrimination et de proportionnalité. La mort de civils apparaissait alors comme secondaire, puisque l’intention première était de les épargner et de n’attaquer que les installations militaires ! Les pays de tradition protestante se sont montrés favorables à cette approche, considérant qu’une guerre limitée et ponctuelle est une meilleure garantie contre la guerre totale.

Les cas particuliers de la guerre

Le terrorisme

Les attentats suicide menés par les adeptes de sectes ou les terroristes ont apporté un élément nouveau dans le débat sur la guerre. Il n’y a dans ce cas aucune menace de représailles qui tienne, aucune dissuasion possible : « Celui qui ne tient pas à sa vie tient celle de l’autre en otage », dit Sénèque. Le danger le plus grand est le fanatisme allié à la technologie.

La guerre civile

En principe, on a, à l’intérieur des Etats, un ordre juridique civil, et, à l’extérieur, des Etats qui se font justice eux-mêmes, par la guerre. Mais ce principe est contredit par les guerres civiles, qui représentent une part de plus en plus importante des conflits (la quasi-totalité des guerres en 2006 étaient civiles)

Les guerres civiles sont-elles justes ? Comment en définir les règles alors qu’il s’agit de personnes d’un même Etat ? Quel degré d’écart avec les conflits interétatiques ?

La guerre d’indépendance, la guerre sainte

Cette forme de conflit est de plus en plus justifiée par la légitime défense, ce qui est réfuté par Hassner. De même, la guerre de libération ou guerre sainte (djihad). Pour Ben Laden, le djihad n’a jamais cessé, depuis le temps des croisades !

La guerre humanitaire

Là encore il est dur de justifier la guerre et de savoir surtout quand la déclencher. En Somalie, l’entrée en scène des Etats (notamment la France, les Etats-Unis) a provoqué autant de morts sinon plus qu’avant leur intervention. Combien sur les milliers de morts de ce conflit seraient effectivement morts de faim ? Echaudés par cette expérience, les Etats-Unis sous la présidence de Clinton, ont refusé d’intervenir au Rwanda, alors que le génocide qui y était perpétré est un crime contre l’humanité.

Comment intervenir dans un pays qui bafoue les droits de l’homme ? Kouchner appelle la « morale de l’extrême urgence » ce principe d’une Croix-Rouge qui soigne tout en respectant les règles en place, même injustes et inhumaines (ce qui pour Hassner revient à apporter des sandwiches à Auschwitz !)

La France place ses soldats du côté des victimes, poursuivant, comme l’ONU, l’utopie de sauver les victimes sans causer de dommage par ses interventions.

Où s’arrête l’intervention humanitaire ? Il ne suffit pas de faire cesser un massacre, il y a aussi une nation à reconstruire (« nation building »), mais cela est le travail du peuple et non de l’occupant – ce qui était valable après la seconde guerre mondiale pour l’Allemagne et le Japon ne l’est plus à présent.

Vers un ordre international

Après chaque guerre, on veut éviter la suivante en créant des structures internationales, rejoignant le principe de l’ordre juste esquissé par Kant : ainsi sont nées la Société des Nations après la guerre de 14-18, que Charles Péguy appelait la « der des der », et l’Organisation des Nations Unies après la guerre de 39-45.

Pour Jean Monet, un des pères fondateur de l’Union Européenne, il s’agit d’instituer des lois, des tribunaux, un parlement, qui garantissent un ordre juridique entre les pays et pas seulement dans les pays.

Le tournant du 11 septembre 2001

Depuis le 11 septembre 2001 et l’attaque des Twin towers , le monde est beaucoup plus dur. Georges Bush a kidnappé les principes humanitaires prônés à l’ONU au nom de la guerre globale contre la terreur, se plaçant du même coup au niveau d’Al-Qaida. Le conflit englobe tout le monde sans distinction, il s’agit de prendre les devants avant que l’ennemi ne frappe. Ce principe préventif a débouché sur la guerre désastreuse conduite en Iraq en 2003.

Aujourd’hui, les enjeux ne tournent plus autours d’une population ou d’un territoire, mais d’une guerre que mène un groupement d’Etats contre le terrorisme, et ce changement amène non plus la paix ou la guerre, mais un état de conflit perpétuel

Dis-moi quelle guerre mènes-tu, je te dirai qui tu es…

Quel rapport entretient-on alors entre la fin et les moyens ? Le refus de recourir à certaines extrémités est-il injuste s’il donne du même coup la victoire à l’ennemi ? Churchill pendant la seconde guerre mondiale déclarait n’avoir aucun scrupule face à Hitler.

Or, les adversaires ne cessent pas d’être humains. Pourtant, au nom de la guerre contre le terrorisme, on a justifié le non droit pour les prisonniers à cause de leur statut ambivalent, ni criminels civils, ni prisonniers de guerre. Se pose ici la question de réciprocité : avons-nous des devoirs envers ceux qui ne considèrent pas qu’ils ont des devoirs envers nous ? Parlant de la torture aux Etats-Unis, le sénateur Mc Cain disait que l’important n’est pas de voir qui ils sont – les terroristes – mais qui nous sommes – les américains, le président des Etats-Unis et l’image qui en est donnée au reste du monde.