Le journaliste et le blogueur
Publié le 9 janvier 2007Par Olivier Chatin, Président BearingPoint France et Belgique
A l’automne 2006, un grand hebdomadaire français avait fait sa une sur « Internet, le 5e pouvoir ». Une des problématiques alors posée portait sur le poids des journalistes face aux 100 000 nouveaux éditorialistes “blogueurs” qui apparaissent chaque jour sur le Net. Si les sites des grands journaux sont encore leaders, force est de constater que le site de blog Engadget a plus de liens qui renvoient vers lui que Times On Line, Reuters ou Forbes, tandis que Boing Boing se situe au niveau de Business Week sur ce même critère.
Le développement spectaculaire d’Internet (un Français sur deux y consacre plus de deux heures par jour), le succès surprise des systèmes de “self-media” dont les blogs sont l’exemple symptomatique, et plus largement la reconnaissance inattendue de l’auto-production de contenu constituent un tournant majeur. Ces trois effets combinés légitiment l’information en provenance de tout un chacun avec, comme acteur majeur, des entreprises telles que Google. Chris Taylor ne proposait-il pas dans Business 2.0, début 2006, un scénario “Google is the media” en 2025 ?
Ce phénomène s’inscrit dans un fantasme de la “fin des intermé- diaires”, l’illusion de la disparition de toute médiation, qu’elle soit politique ou journalistique. Si les outils liés à Internet présentent de réelles avancées – démocratiques, quand ils aident les opposants aux régimes autoritaires, ou artistiques, quand ils permettent à des formes ou à des auteurs d’émerger –, ils posent néanmoins des problèmes quand il s’agit de l’information, en particulier économique et financière. En effet, les impacts de ces informations peuvent être directs et d’importance: diffusion de secrets industriels, rumeurs touchant des gouvernements ou des entreprises, cours des actions, etc.
Le rôle de médiation tenu par les journalistes demeure une fonction clé, en raison d’au moins cinq nécessités :
– La validation des sources d’informations (et, au-delà, le croisement nécessaire de plusieurs sources et non la répétition d’une source primaire),
– Le filtrage des informations, afin de faire ressortir les points sensibles (et de fait permettre au récepteur de ne pas être noyé sous trop d’informa- tions brutes),
– L’apport indispensable d’analyses (en particulier avec l’évolution des normes comptables et la fin poten- tielle des publications annuelles, l’évaluation permanente des entre- prises sur la base des dernières perspectives),
– La prise de recul et la mise en perspective (afin de corréler les informations simples avec les phénomènes complexes, au besoin à travers des analyses contradictoires),
– L’indépendance dans le rendu des conclusions.
Ce rôle est bel et bien celui des journa- listes, qui doivent demeurer des acteurs clés de l’information économique.
Si la transparence permise par Internet est un point positif, la fonction de médiation, de filtre et d’analyse des journalistes est à revalo- riser. Voltaire écrivait en 1737 que les “petits ruisseaux [sont] transparents parce qu’ils sont peu profonds” : aux journalistes de s’assurer qu’en 2015 leur rôle sera encore reconnu pour mettre de la profondeur dans l’information économique et financière.