Petit-déjeuner avec Jacques Mistral, directeur des études économiques à l’Ifri et Christian Saint-Etienne, professeur au CNAM
Publié le 12 janvier 2012Le mercredi 11 janvier 2012, nous avons eu le plaisir d’accueillir Jacques Mistral, directeur des études économiques à l’Ifri et Christian Saint-Etienne, professeur au CNAM, sur le thème « Qui est le plus malade et dangereux pour l’économie mondiale, les Etats-Unis ou l’Europe ? »
– Jacques Mistral : les instruments de politique économiques paraissent inopérants à relancer la machine, des deux côtés de l’Atlantique
– Christian Saint-Etienne : Si les Etats-Unis sont économiquement plus malades, l’Europe l’est plus de ses institutions
– J.M. : Pour les investisseurs, le dollar était le vrai « malade » jusqu’à ce que l’Union fasse « tout pour décrédibiliser l’Europe »
C.S-E : Ou l’Europe accepte plus de fédéralisme ou l’euro éclatera
Pour Jacques Mistral, directeur des études économiques à l’Ifri, le léger vent d’optimisme des derniers temps a quelque chose de « pathétique ». Certes, on note une légère décrue du chômage aux Etats-Unis. En Europe, l’Allemagne reste une locomotive économique et l’euro revient à des niveaux plus naturels face au dollar. Mais après 9 trimestres de crise, la reprise américaine reste très en deçà des niveaux enregistrés lors des précédentes périodes de redémarrage. Ni le logement, ni les investissements, ni la consommation ne repartent vraiment. Et l’Europe parait encalminée. Au total, les instruments de politique économiques apparaissent inopérants à relancer la machine, des deux côtés de l’Atlantique.
Alors qui est le plus dangereux pour l’économie mondiale? De part sa taille, l’économie américaine représente la plus forte menace, avec un déficit public de 10% du pib, un déficit primaire incontrôlé, le tout financé par l’épargne étrangère. En revanche, la zone euro est, en termes économiques, beaucoup plus équilibrée. Et si la quête de solution à la crise de la dette souveraine de la zone euro parait chaotique, elle n’a rien à envier à la « cuisine du Sénat américain » en matière budgétaire. Un constat que partage Christian Saint Etienne, professeur au CNAM, à ceci près que l’euro, selon lui, a été « conçu pour marcher sur l’eau » et ne s’appuie pas, comme le dollar, sur un système fédéral. Aujourd’hui le choix est simple : opter pour plus de fédéralisme, accepter un budget européen de 2 à 3 points de pib pour financer des infrastructures prometteuses sur le long terme, l’innovation et des universités européennes ou voir l’euro éclater. Bref, si les Etats-Unis sont économiquement plus malades, l’Europe l’est plus de ses institutions.
Un risque d’éclatement de la monnaie unique qui laisse Jacques Mistral sceptique. « Voilà deux ans qu’on annonce la fin de l’euro », une monnaie « moribonde » qui vaut toujours environ 1,30 dollar. En fait, le billet vert était le vrai « malade » pour les investisseurs jusqu’à ce que l’Union fasse « tout pour décrédibiliser l’Europe », sans qu’il y ait eu besoin d’un « complot » américain. Qui est responsable de cette perte de crédibilité européenne ? Pour Jacques Mistral comme pour Christian Saint Etienne, le principal problème ne vient pas de l’Allemagne mais de la France dont la situation, depuis 4 ans, n’a cessé de se dégrader. L’idée fédérale européenne gagne du terrain en Allemagne, pas en France, souligne le directeur des études économiques de l’Ifri. Et alors que la Chancelière Angela Merkel a soumis l’accord européen de l’été dernier au vote bipartisan du Bundestag, les Français parlent beaucoup. Quand ils n’oublient pas de prévenir leurs partenaires de leur décision de lancer une taxe sur les transactions financières, seuls s’il le faut…Reste que pour Christian Saint Etienne, une gouvernance renforcée sur l’unique volet budgétaire est punitive si elle ne s’accompagne pas d’un volet fédéral favorable à la croissance.
Pour la France, la situation implique, pour les deux économistes, un sursaut de rigueur accompagné de mesures favorables à la reprise. Lesquelles ? En l’absence de projet précis des candidats à la présidentielle, chacun reste prudent. Mais pour le professeur au CNAM, on n’échappera pas à quelque 30 à 40 milliards d’euros de coupes budgétaires supplémentaires. Et Jacques Mistral souligne le décalage entre les Allemands qui « pensent avoir le temps car ils sont créanciers mondiaux » et les Français « inquiets car en position de débiteurs ».
En attendant, les Etats-Unis restent la première puissance mondiale et le dollar la principale devise utilisée pour les échanges commerciaux dans le monde. Mais sur ce terrain aussi, les choses bougent. Jacques Mistral souligne l’importance de l’accord signé, fin décembre, entre la Chine et le Japon pour utiliser leurs monnaies respectives, au lieu du dollar, dans leurs échanges commerciaux. Ce qui devrait pousser les industriels et l’Union européenne à facturer… en euros.