La liberté d’expression résiste aux tentatives de censure

Publié le 16 novembre 2016

Fragilisée par des médias en difficultés économiques, la liberté d’expression doit désormais affronter des assauts juridiques. En 2016, pas moins de quatre textes ont secoué ce fondement de la démocratie. Et le début d’année 2017 appelle déjà à la vigilance face aux attaques du Sénat.

 

  • la loi Egalité et citoyenneté : adopté définitivement en décembre 2016, ce texte a tenté, sans concertation, de porter une attaque à la liberté d’expression sur deux fronts : la possibilité de mettre en cause n’importe quel citoyen (sauf les journalistes) sur le fondement de la responsabilité civile, avec à la clé un risque de devoir payer des dommages et intérêts exorbitants, et un allongement considérable de la durée de prescription pour pouvoir attaquer en justice quelqu’un dont les propos, publiés en ligne, dérangent. Grâce à une forte mobilisation, ces tentatives de censure ont avorté. Mais nous devons rester vigilants dans la perspective d’un changement de gouvernement. Mais aussi parce qu’un autre texte est actuellement en discussion (voir ci-dessous).
  • la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale : actuellement en discussion parlementaire, ce texte ébranle à nouveau la durée de prescription des délits de presse en ligne. Le Sénat a allongé ce délai de 3 mois à un an. Cette disposition a été rejetée par l’Assemblée nationale mais le texte est à nouveau entre les mains du Sénat.
  • la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi Sapin 2) : adopté définitivement en décembre 2016, ce texte apporte de légers progrès pour les lanceurs d’alerte. Ils peuvent saisir le défenseur des droits afin d’être conseillés et le processus de signalement devient encadré. Mais les lanceurs d’alerte ne peuvent pas bénéficier d’une aide financière. Et leur protection juridique reste limitée. Si les whistblowers ne peuvent (théoriquement) subir de discriminations sur leur carrière professionnelle, ils sont attaquables sur d’autres fronts, par exemple pour vol de documents ou abus de confiance.
  • La loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias : ce texte a été adopté définitivement en octobre 2016. Après quelques rebondissements, il a finalement laissé en l’état le régime actuel insatisfaisant de la protection des sources des journalistes. Il a aussi institué une obligation de rédiger, d’ici juillet prochain, dans toute entreprise de presse, une charte déontologique. Cette disposition est à double tranchant. Si elle peut apporter un cadre éthique clair dans chaque média, elle peut aussi imposer aux journalistes de revoir leurs prérogatives à la baisse, surtout dans les « petits » médias où le rapport de force est à l’avantage de l’employeur. Il faudra donc être particulièrement vigilant sur la mise en place des chartes maison.
  • la directive sur le secret d’affaires : adopté définitivement en 2016, ce texte européen doit être transposé en droit français d’ici juin 2018. Il impose aux Etats membres de sanctionner civilement les personnes qui ne respectent pas le secret d’affaires — les Etats membres ont la faculté d’y ajouter un volet pénal. Deux dispositions intéressent particulièrement la liberté d’expression. L’une concerne les médias, qui peuvent en principe (s’ils contribuent au débat d’intérêt général) violer un secret d’affaires sans être poursuivis. L’autre touche les lanceurs d’alerte lesquels bénéficient d’une protection à la condition de révéler une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale et à condition d’avoir agi dans le but de protéger l’intérêt général. Les notions d’acte répréhensible et de faute créent de l’insécurité juridique. Et il faudra être vigilant sur la transposition en France de ce texte et de son articulation avec la loi Sapin 2.